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mission diplomatique en Danemark., — où il ne devait jamais allée, comme il l’a dit lui-même avec un spirituel et laconique sentiment de dignité.

Le coup était rude, plus rude qu’imprévu, et, partant d’une telle main, il frappait deux fois ceux qu’il atteignait, qui pouvaient voir dans cet acte de représaille ministérielle une grande amitié perdue, le dernier mot d’une longue crise intime. Les uns et les autres recevaient la disgrâce dans la mesure de leur caractère et de leur esprit. Je ne parle plus de M. de Barante, qui savait concilier avec autant de tact que de noblesse ce qu’il devait au garde des Sceaux et ce qu’il devait à ses autres amis. M. Guizot, à qui on attribuait une prétendue pension qu’il aurait été censé toucher sur le ministère des affaires étrangères, mais qu’il ne touchait pas réellement, M. Guizot rejetait toute pension et mettait un peu d’affectation à revendiquer une entière indépendance. Camille Jordan se vengeait par une lettre verbeuse, pointilleuse et irritée. Royer-Collard, en écrivant une dernière fois à De Serre, avait un accent profond d’amitié blessée et de dignité émue. « Je ne dois de réponse, disait-il, qu’au dernier paragraphe de votre lettre. J’adresse cette réponse, non au ministre, non à l’ancien ami dont je détourne ma pensée, mais à l’homme sincère et vrai qui, ayant connu mes sentimens les plus intimes, saura peut-être mieux que moi mettre ma conduite dans son véritable jour. Je sais quel respect est dû au nom du roi ; ses bienfaits obligent presque comme ses ordres. Je ne voudrais pas lui désobéir, et cependant je ne puis pas accepter une pension sur le sceau en considération de mes services. » Royer-Collard, en rappelant quels avaient été ces services, en refusant un « traitement secret qui les dégraderait, » ajoutait aussitôt : « Il n’y a point de faste dans ce refus ; il m’est dicté par une répugnance invincible et pour ma seule défense. Personne n’est plus en état que vous de le faire agréer au roi par une interprétation équitable ; je vous demande ce bon office. Vous me dites que sa majesté compte sur moi ; elle rend justice à mes sentimens. Une disgrâce honorable, encourue pour son service, est un attrait de plus pour ma fidélité. »

Le duc de Broglie de son côté avait vu De Serre une dernière fois, avant le coup qui frappait ses amis ; il avait rencontré le garde des sceaux se rendant au Luxembourg, et il avait échangé avec lui « quelques paroles tristes et solennelles : » depuis « tout rapport avait cessé. » Quelques mots écrits deux mois après de Coppet par la duchesse de Broglie révèlent une amitié survivante, mais résolue à se taire. La rupture était complète !

Lorsque De Serre avait écrit ses lettres de révocation, il partait