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époque appartient à l’histoire, et l’histoire qui la jugera jugera aussi l’honorable membre… L’honorable membre a été à la tête de ceux qui ont attaqué et renversé l’ancienne monarchie. Je sais convaincu que des sentimens exaltés, mais généreux, l’ont déterminé. Il devrait être assez juste pour ne pas imputer aux victimes de ces temps tous les maux d’une révolution qui a pesé si cruellement sur eux. Ces temps n’auraient-ils pas laissé à l’honorable membre de douloureuses expériences et d’utiles souvenirs ? Il a dû éprouver plus d’une fois, il a dû sentir, la mort dans l’âme et la rougeur sur le front, qu’après avoir ébranlé les masses populaires, non-seulement on ne peut pas toujours les arrêter quand elles courent au crime, on est souvent forcé de les suivre et presque de les conduire… Mais laissons nos anciens débats et songeons au présent. « L’honorable membre déclare que les actes de la législature, que vos actes ont violé la constitution et qu’il se croit délié de ses sermens. Il le déclare en son nom et en celui de ses collègues ; il le déclare à toute la nation ! Il ajoute à ces déclarations un éloge aussi affecté qu’inutile de ces couleurs qui ne peuvent plus être aujourd’hui que les couleurs de la rébellion. Et ce scandale est renouvelé pour la seconde fois à la tribune ! Je demande quel peut en être le but. Et si des insensés au dehors, séduits, excités par ces paroles criminellement imprudentes, se portaient à la sédition, sur la tête de qui devrait retomber le sang versé par le glaive de la révolte ou par le glaive de la loi ? .. »


À ces mots, un mouvement extraordinaire remplissait la chambre. Dès lors le gouvernement semblait s’éclipser ou se concentrer dans un seul homme reparaissant après quatre mois d’absence. L’opposition sentait qu’elle avait devant elle un athlète capable de la contenir et de la dominer. L’assemblée retrouvait un guide dans cette discussion laborieuse, où à chaque instant il y avait à faire face à l’imprévu. La situation était d’autant plus émouvante qu’on voyait parfois la force près de manquer à cet intrépide combattant de la parole. Un jour même on fut obligé de lui porter à la tribune un fauteuil pour lui permettre de reprendre haleine.

De Serre n’était entré d’abord qu’incidemment dans le débat par sa vive apostrophe à M. de Lafayette. Il y entrait bientôt à fond, avec toute la supériorité de son esprit, à propos d’un amendement d’opposition que Camille Jordan avait présenté et qui aurait établi dès lors ce qu’on appellerait aujourd’hui le vote par arrondissement. Le garde des sceaux saisissait cette occasion d’embrasser la question tout entière, en analysant avec feu les conditions politiques de la France, en montrant comment était née et s’était imposée la nécessité d’une réforme de la loi électorale du