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D’un côté, les ministres anciens ou les ministres nouveaux comprenaient bien qu’ils ne pouvaient se passer de De Serre. Ils sentaient amèrement le contre-temps qui le tenait éloigné, et ils ne se rassuraient à demi que parce qu’ils pensaient qu’en gardant son nom ils le retrouveraient bientôt tout entier auprès d’eux. Ils ne cessaient de le lui dire : « Que n’êtes-vous avec nous pour nous aider ! .. Levez les mains au ciel pour nous et venez à notre secours le plus tôt que vous pourrez… Achille absent fait toute la force de Troie : revenez, et avec vous reviendra la force qui nous a manqué, et le succès sans lequel nous sommes condamnés aux plus grands malheurs. » Le duc de Richelieu lui-même n’avait pas perdu un jour pour lui écrire : « … M. Decazes, indignement calomnié, a dû céder à l’orage, et moi, quoique malade et bien résolu à ne jamais rentrer dans les affaires, je me suis décidé au plus pénible sacrifice. J’ai voulu que vous ne l’apprissiez que par moi, et vous témoigner en même temps combien j’attache de prix à vous avoir pour collègue… J’ai besoin de vous exprimer combien je fais de vœux pour votre parfait rétablissement et votre prompt retour. » Les royalistes les plus éclairés, qui se rattachaient à M. de Richelieu comme à une dernière chance d’échapper aux « ultras, » faisaient au garde des sceaux un devoir de loyauté et d’honneur de rester au pouvoir ; ils lui disaient avec M. de Mezy, directeur-général des postes et député : « Ce qui contribuera le plus à donner de la consistance à ce ministère, c’est qu’on sache bien que vous ne vous en séparez pas malgré la retraite forcée de M. Decazes. Votre caractère et votre valeur lui sont nécessaires, vous ne pouvez les lui refuser… » On s’adressait à ses sentimens les plus élevés ; on intéressait son âme généreuse au succès d’une politique qui, sans cesser d’être modérée avec M. de Richelieu, pourrait rallier une partie de la droite contre le danger du moment, la menace révolutionnaire.

C’était la voix du camp royaliste, du camp ministériel. D’un autre côté, les libéraux, les doctrinaires, avec qui De Serre restait encore d’intelligence, lui tenaient un langage différent. Ces hommes de talent et d’éloquence, qui avaient contribué à la chute de M. Decazes en l’abandonnant, ne tardaient pas à le regretter et commençaient à s’effrayer. Au milieu de leur trouble, ils avaient la vive préoccupation du rôle réservé au garde des sceaux, en qui ils ne cessaient de voir l’ami le plus cher, le guide le plus précieux. Avant de savoir ce qu’il ferait, ils s’efforçaient de l’éclairer, de l’avertir, de le mettre en garde, en lui exposant la gravité des choses. Ils étaient certainement sincères et souvent clairvoyans. M. de Barante, avec un esprit calme et une raison fine, lui décrivait la marche, le caractère de cette crise à peine ouverte, ajoutant aussitôt : « Que