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comme l’avait dit Chateaubriand avec la férocité du génie, il avait disparu dans une tempête de passions iniques, — la situation restait avec ses complications et ses troubles. Le ministère, il est vrai, n’avait subi d’autre changement que la réapparition de M. de Richelieu à la présidence du conseil et l’entrée de M. Siméon à l’intérieur. Il ne voulait pas ou il ne croyait pas dévier de la politique de modération. Le roi se plaisait toujours à répéter qu’il fallait « chercher une majorité en dehors des ultras. » Le ministère reconstitué cependant ne pouvait échapper à une certaine logique des choses ; il était peut-être plus engagé qu’il ne le pensait par les circonstances, par ces lois d’exception dont il avait accepté l’héritage et pour lesquelles il avait maintenant à combattre, par les inclinations ou les illusions de M. de Richelieu, qui n’avait pris les affaires qu’en se flattant de désarmer, de rallier la plus grande partie de la droite. C’était là justement le nœud de cette situation étrange où se trouvait un ministère bien intentionné, mais plein de perplexités entre des opinions impérieuses, entre les royalistes, dont il recherchait la dangereuse alliance sans vouloir la payer trop cher, et les libéraux, qui n’étaient pas encore des adversaires déclarés, qui essayaient de le retenir. La vérité est que dès le premier moment s’ouvrait une lutte des plus graves autour de ces lois sur la liberté individuelle, sur la censure des journaux, sur les élections, qui mettaient incessamment aux prises le cabinet et les partis, qui devenaient autant d’occasions de conflits passionnés, de scissions violentes. La crise qui avait emporté M. Decazes se survivait à elle-même, et la question n’était pas seulement dans ce qui se passait à Paris ; elle était au moins autant à Nice, où De Serre, bien que malade et absent, restait plus que jamais un personnage nécessaire, une sorte d’arbitre reconnu vers lequel se tournaient aussitôt tous les regards.

Comment De Serre jugerait-il de loin cette situation créée par le crime du 13 février et par la chute de M. Decazes ? à quoi se déciderait-il ? Allait-il rester dans le ministère pour faire sous un nouveau chef une campagne qui pouvait conduire à une réaction périlleuse, qui commençait par des lois d’exception ? quitterait-il le pouvoir pour reprendre sa place parmi les libéraux constitutionnels, les royalistes modérés avec qui il avait gardé des relations d’opinion et d’affection ? C’était là ce qui s’agitait, aux premiers mois de 1820, dans une vive et saisissante correspondance destinée à porter chaque jour aux bords de la Méditerranée, à Nice, les impressions, les excitations et les appels de tous ceux pour qui le garde des sceaux ne cessait d’être une force ou un espoir. L’écho de tout ce qui se passait à Paris allait retentir dans cette conscience ardente et sincère délibérant avec elle-même.