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aux genoux de Louis XVIII, en le suppliant de sacrifier M. Decazes, et Louis XVIII, dans une agitation extraordinaire, disait quelques instans après à son ministre : « Ce n’est pas à vous qu’on en veut, c’est à moi… On veut nous séparer, on n’y réussira pas ! »

La lutte s’aggravait d’heure en heure. Malgré tout, M. Decazes, fort de l’appui du roi, aurait sans doute défié les assauts jusqu’au bout, s’il avait pu compter sur ses anciens alliés du centre gauche dans le parlement, s’il avait pu obtenir avec eux et par eux le vote de ces lois d’exception dont il croyait avoir besoin, qu’il s’était hâté un peu imprudemment d’offrir comme un gage aux émotions du moment ; mais Royer-Collard et ses amis, sans s’associer aux iniquités vindicatives des « ultras, » restaient eux-mêmes méfians et inquiets. Ils n’avaient pas été consultés, c’était toujours la grande raison. Ils refusaient de suivre le président du conseil dans la voie où il paraissait s’engager avec les lois d’exception, surtout avec la loi des élections. Dès lors M. Decazes se sentait perdu au milieu des partis, entre les royalistes, qui poursuivaient à outrance sa chute, et les libéraux, qui l’abandonnaient en plein combat. Il ne pouvait plus rien, il reconnaissait qu’il n’était plus qu’un obstacle, et, après quatre jours d’orages intimes, de déchaînemens violens, ce drame étrange touchait à sa suprême péripétie. Le roi, vaincu par la nécessité, finissait par consentir à la retraite de son ministre favori ; il ne se séparait néanmoins de M. Decazes qu’avec une sorte de déchirement, en le comblant de faveurs nouvelles, en le faisant duc, ambassadeur à Londres. En même temps, sans toucher au reste du ministère, il rappelait pour la seconde fois à la présidence du conseil le plus modéré des royalistes, le duc de Richelieu que l’attrait du danger décidait encore plus que le goût du pouvoir. Louis XVIII, même en cédant, gardait la décence de la royauté, et c’est ainsi que se dénouait cette crise de 1820, provoquée par l’acte solitaire d’un meurtrier, aggravée et envenimée par les fureurs des « ultras, » précipitée par l’abandon des libéraux, caractérisée au dernier moment par la disparition subite et définitive du ministre tout-puissant de la veille. « Je plains profondément M. Decazes, écrivait Royer-Collard, — qui n’avait pourtant pas nui à sa chute ; — vous savez que j’ai toujours aimé l’homme… Il est parti, comptez qu’il ne reviendra pas. »


I

Était-ce un dénoûment ? L’éclipse de M. Decazes ne pouvait guère être considérée que comme le signe d’une transition encore indécise. Un homme avait disparu ; il n’avait pas glissé dans le sang,