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soumettre la ville à tout prix et d’un empereur réputé le plus puissant prince de l’Europe ! Épisode digne de remarque, Catherine de Médicis, alors âgée de neuf ans, était restée comme otage aux mains des patriotes, et Clément VII, son oncle de la main gauche ou, pour parler plaisamment la langue de Brantôme, son oncle en notre dame, l’ayant fait réclamer, un nommé Baptiste Cei demanda qu’elle fût exposée entre deux créneaux au feu de l’artillerie ennemie. Bernard Castiglione alla plus loin, et, dans un conseil tenu pour aviser à terminer les affaires, il déclara que, loin de remettre Catherine au pape, on devait la livrer aux soldats pour la déshonorer. À neuf ans une Italienne a de la mémoire. Il est donc permis de croire que plus tard les impressions ressenties pendant ces jours d’épreuves eurent leur contre-coup, et que l’héritière des Médicis, une fois en possession du pouvoir royal, ne négligea pas une occasion de se ressouvenir de l’outrage infligé à la jeune fille.

Ce n’était plus qu’une question de temps et d’argent. Néanmoins, lorsque Michel-Ange revint de Ferrare, les affaires n’étaient pas encore si désespérées. On attendait toujours l’intervention de la France et de Venise, on se flattait même de traiter directement avec Charles-Quint en laissant le pape de côté, sans compter qu’on avait pleine et entière confiance dans l’armée de Malatesta Baglioni, général de la république. Michel-Ange courut aux remparts de San-Miniato. C’était, nous le savons, un de ces hommes au service comme à la hauteur de toutes les circonstances. Peintre, sculpteur, architecte, poète, il fabriquait lui-même les outils qui lui servaient à travailler le marbre ; à Carrare, il s’improvisait casseur de pierres, inventait, menuisait ses échafaudages pour la chapelle Sixtine, et se construisait des machines pour le transport et le dressage de ses statues. L’heure présente réclamait un ingénieur, et Florence en lui eut son Vauban[1]. À peine descendu des remparts de San-Miniato, il se remettait à peindre sa Léda, se reprenait en cachette à ses études pour le tombeau des Médicis, laissant l’art et la politique se combattre et se contredire en sa personne, et ne souffrant

  1. Cette prodigieuse puissance de rayonnement, échue en partage aux grands artistes de la renaissance, est un fait désormais trop connu pour qu’on y insiste. Peut-être cependant n’était-il pas sans intérêt de le voir une fois, non plus traité de façon toute abstraite et selon les lois ordinaires de l’esthétique, mais pris sur le vif en pleine histoire. Michel-Ange, né en 1474, mort en 1564, passe, tant à Florence qu’à Rome, soixante ans au centre de tous les travaux ; ses œuvres capitales : — les fresques de la chapelle Sixtine, le tombeau des Médicis dans l’église de Saint-Laurent, son plan de la cathédrale de Saint-Pierre, son David de la place du marché à Florence, son Moïse du monument de Jules II, — suffiraient seules à remplir une vie d’artiste, et tout cela ne comprend qu’une partie de son activité, entraîné qu’il est par son tempérament robuste et de feu vers toutes les querelles politiques et religieuses qui passionnent l’Italie et le siècle.