Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homériques lutteurs ! Beethoven également a traversé l’œuvre de Mozart jusqu’au jour où la septième symphonie ouvrit pour lui l’ère d’absolue émancipation. « Il y a de certains sentimens et de certains styles qui sont contagieux et qui teignent de leurs couleurs tous les esprits, » a dit excellemment Chateaubriand. Le style michelangesque eut cet effet, et si l’École d’Athènes en est sortie, que de compositions célèbres sont à leur tour sorties de l’École d’Athènes, dont, pour n’en citer que trois prises parmi les contemporains, la Réformation de Kaulbach, l’Hémicycle de Paul Delaroche et le Triomphe de la religion dans les arts d’Overbeck ne sont que des répliques plus ou moins manifestes, répliques où nul personnage n’a l’air de se soucier du voisin, où chaque groupe forme un a-parte sans se relier à l’idée d’ensemble, d’harmonie, tandis que, dès le premier regard, le divin tableau de Raphaël agit sur vous comme un accord parfait se prolongeant. Que les titanides de Michel-Ange aient évoqué les génies de Raphaël, que l’idéal féminin nous soit ainsi apparu sous un double aspect, que la force ait engendré la grâce, où voir l’imitation dans tout cela, et n’est-il point permis plutôt d’admettre une communauté d’inspiration suprême amenant des résultats divers ? Lorsque je pense à Beethoven passant sa vie à fuir les hommes, qu’il aimait d’un cœur si profond, je m’explique l’âpre rudesse et les coups de boutoir du grand Florentin. Il n’était pas de ceux que la destinée caresse et que des nuages ouatés emportent doucement vers les cimes. Rude à ses pieds fut la hauteur, et les sentiers qu’il gravissait durent être déblayés pierre à pierre. De là ces façons bourrues, ces airs de sanglier qui se rembûche. Un jour que Jules II, l’interrogeant sur quelque ouvrage en train d’exécution, lui demandait quand il aurait fini, « Quando potro, » répondit-il brusquement ; le pape alors de se fâcher et, furieux, de menacer l’artiste qui, de plus en plus intraitable, continuait à riposter jusque sous le bâton : Quando potro, quando potro ! Une autre fois, se croyant frustré dans un règlement de compte, il accourt au Vatican, veut parler au pape, qui le fait jeter à la porte ; fou de haine, il rentre à la maison, écrit une lettre endiablée, vend au juif tout ce qu’il possède et quitte Rome. Jules II dépêche après lui ses cavaliers ; coursiers et messagers se succèdent, Michel-Ange reste inflexible, et, toujours grondant et grommelant, gagne Florence. Ordre d’extradition signifié à la Seigneurie, l’artiste refuse d’obéir ; mais, la colère du pape l’inquiétant un peu, il songe à se réfugier chez le sultan, qui l’invite à venir à Constantinople lui construire un pont sur le Bosphore ; à la fin cependant, on le persuade de se rendre à Bologne pour s’y rencontrer avec Jules II. Il