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moindre de ses soucis. Elle meurt sur ces entrefaites, et Raphaël la laisse partir sans une larme ; jamais on n’eut le cœur moins élégiaque.

Vasari donne pour raison à cette attitude un peu byronienne l’espoir d’être nommé cardinal, que Raphaël n’avait abandonné qu’à regret et qui, son mariage rompu, se ranimait. Notons aussi, en passant, qu’à cette époque le goût du mariage n’était point de mode parmi les peintres italiens. Michel-Ange, Titien, Léonard de Vinci, sont morts célibataires, et le diable n’y perdit rien. Les hommes et les femmes de cette époque avaient dans leurs rapports une liberté d’allures toute particulière ; en général, on se mariait le moins possible, et nulle disgrâce ne pesait sur les enfans naturels[1]. Ce qu’il y a de certain, c’est que Raphaël, de quelque manière qu’il ait vécu et qu’il soit mort, ne devait point ressembler à ce type exclusivement séraphique sous lequel les romantiques de tous temps se sont plu à l’idéaliser. Divers portraits risqueraient fort, là-dessus, d’égarer l’opinion. Quelques-uns nous le représentent comme un délicieux éphèbe ; tel autre, celui de la galerie Czartoryski par exemple, nous montre un ovale féminin où la grâce et la suavité prédominent. Que devient l’homme en tout cela, l’infatigable créateur de cette longue suite de chefs-d’œuvre ? Je vois le charme et la séduction, mais je cherche en vain la virilité, la puissance, et ce secret, c’est le portrait du Louvre, le Raphaël des dernières années, qui me le livrera. Regardez-moi bien ce compagnon solidement bâti, carré d’épaules, devant qui Jules Romain rentre au fourreau son épée, et vous sentez aussitôt l’idée de force, toujours associée à l’idée de génie, se dégager de cette image. À la bonne heure ! voilà un homme, l’homme qui, doué au physique non moins vigoureusement qu’au moral, sut gouverner dans toutes les directions sa merveilleuse activité et fut, en même temps que le plus grand des peintres, un véritable ministre des beaux-arts aux jours illustres de la renaissance. Ce Raphaël-là meurt à trente-sept ans dans l’énergie et la grandeur de son humanité ; il porte un chaperon au lieu de nimbe, et les femmes ne lui font pas peur ; sociable et liant au contraire, il ne demande qu’à s’oublier aux aventures, laissant à Michel-Ange la rêverie, l’humeur farouche et les sombres rancunes. Michel-Ange, nature orageuse ; Raphaël, nature lumineuse.

  1. Presque tous les Médicis eurent des bâtards, et jamais on ne vit la légitimité moins prise en considération que dans cette maison souveraine. Clément VII était fils illégitime de Julien Ier, le cardinal Hippolyte était également un bâtard, et peu s’en fallut qu’à son tour il ne devînt pape. C’est là probablement ce qui faisait dire à Mirabeau : « Il n’y a eu dans ma famille qu’une mésalliance : celle des Médicis. »