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envisagées autrement qu’à ce point de vue en quelque sorte descriptif ; elles varient suivant les temps et suivant les lieux ; au XXe siècle, il est probable que les usages ne seront plus ce qu’ils sont maintenant. Est-ce à dire que le droit des gens soit un mythe, et qu’il faille le traiter avec le sans-façon que tant de personnes affectent à son égard ? Loin de là : pour être souvent changées et souvent violées, les règles de la guerre n’en existent pas moins. Il est vrai qu’elles n’ont jamais été promulguées, mais la coutume et les précédons ne sont-ils pas une source de droit tout aussi respectable que les lois et les décrets émanant des autorités régulières ?

La première partie du Manuel est consacrée aux hostilités. Sur ce point, l’accord n’est pas loin d’exister entre les états civilisés de l’Europe. Sauf certaines questions de détail, tout ce qui concerne les moyens de nuire à l’ennemi, la distinction entre belligérans et non-belligérans, les relations entre les armées ennemies, les prisonniers de guerre, n’est point envisagé différemment en-deça et au-delà du Rhin. Dans la seconde partie du Manuel, il est traité de l’occupation militaire en pays ennemi. C’est la partie la plus délicate et aussi la plus intéressante de l’œuvre. Il fallait prendre parti entre les deux doctrines qui se firent jour en 1874 à la conférence de Bruxelles et qui partagent aujourd’hui les publicistes et les gouvernemens. On se rappelle que dans la théorie présentée par M. le baron Jomini et appuyée par les grands pontifes de la science allemande, l’occupation militaire a pour effet de conférer à l’occupant un pouvoir juridique et légal sur le territoire que le sort des armes a mis en sa possession. C’est le système appliqué par les Russes en Bulgarie, où le prince Tcherkasky avait organisé une administration moscovite dès les premiers jours de l’arrivée des cosaques. Aussi n’est-ce pas sans une vive satisfaction que nous avons vu l’auteur du Manuel répudier cette dangereuse doctrine, pour établir que l’occupation. temporaire, c’est-à-dire non autorisée par un acte diplomatique, est « simplement un état de fait qui produit les conséquences d’un cas de force majeure. » Et il ne s’agit pas ici d’une vaine discussion de mots ayant une valeur purement doctrinale : les résultats pratiques sont de la plus haute importance. Les représentans des petits états l’avaient senti vivement lorsqu’ils combattirent les propositions soumises à la conférence de Bruxelles, et nous sommes heureux de penser que la doctrine véritablement libérale et juste dont ils se firent les défenseurs est enseignée dans notre pays.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.