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révolution, qui se résume dans les deux choses les plus considérables du siècle, l’existence d’une nation nouvelle fondée par la liberté, vivant paisiblement dans la liberté, et la transformation de la papauté par la un du pouvoir temporel. Victor-Emmanuel, même en ayant le secret de Cavour, avait-il prévu tant d’aventures extraordinaires ? Aurait-il pu se douter au lendemain de Novare qu’avant dix ans il irait à Florence, qu’un jour viendrait où après un règne agité il mourrait tranquillement à Rome, dans le vieux palais où l’on faisait autrefois les papes ? Il ne regardait probablement pas si loin dans l’avenir ; la première idée qui se présentait à son esprit était celle d’une revanche de la campagne de 1848-49, d’une guerre nouvelle d’indépendance pour le nord de l’Italie, et ce n’est qu’au feu de l’action, sous l’aiguillon des événemens, qu’il a pu, lui aussi, dire : Andremo al fondo !

Ce qui est certain, c’est que dans cette série d’entreprises, de guerres, de négociations, de combinaisons diplomatiques, d’expéditions qu’il a pu voir pendant vingt ans se dérouler autour de lui, Victor-Emmanuel n’a cessé d’être le personnage essentiel autour duquel s’est noué le grand drame. Ce n’est pas lui qui a tout fait, c’est par lui que tout a été possible. Il a porté à l’œuvre commune un mélange original de sagacité et de force, d’entrain guerrier et d’habileté prudente, de bonne humeur familière et de brusquerie impétueuse. C’était, à tout prendre, un vrai prince de Savoie à la physionomie accentuée, alliant le sentiment moderne à la sève de sa race, toujours prêt à l’action, prompt à monter à cheval sous l’uniforme ou à quitter les palais pour s’en aller chasser dans les montagnes, se délassant du règne par les plaisirs de son choix.

Au fond, même dans ses libertés, même dans les aventures à demi révolutionnaires où il s’est trouvé engagé, il avait le culte des traditions de sa maison, et il avait tenu, en prenant la couronne de premier roi d’Italie, à garder son titra de Victor-Emmanuel II. Il n’oubliait pas de quelle souche il était, et il ne permettait pas aux autres de l’oublier ; il s’en souvenait au besoin avec tout le monde, témoin le jour où, ayant reçu de Paris quelque injonction par trop leste, il s’adressait à l’empereur, et il lui rappelait, avec un mélange d’amitié et de fierté, que, si on le poussait à bout, il saurait retrouver les traces de ses aïeux sur les Alpes. Il sentait aisément monter à son front le sang de la vieille race, Victor-Emmanuel était assurément un soldat, il avait l’âme intrépide comme il avait la mine martiale ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, c’était aussi un politique fin, avisé, plein de bon sens, et plus d’une fois ses ministres ont avoué que ses conseils étaient les meilleurs. Il laissait faire souvent ; il gardait son opinion, et c’est surtout dans les questions religieuses que, tout en se prêtant à des réformes nécessaires qui étaient la conséquence de la politique nationale, il avait peut-être