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difficile à traduire, qui aurait également formé caqueux ; pour celui-là, il est tiré de l’adjectif grec χαχος, « méchant, lâche et sans cœur, » comme disait l’excellent Lancelot, l’auteur du Jardin des Racines grecques. Quelques-uns prétendent que les cagots n’ont pas donné leur nom à la nation des faux dévots, mais au contraire qu’ils l’ont emprunté d’elle : cagot, bigot, seraient des mots d’origine germanique et s’expliqueraient ainsi : bi gott, par Dieu, cap gott, par la tête de Dieu (cap, du latin caput, en provençal), exclamations pieuses retournées contre ceux qui exagéraient les pratiques de la religion. D’autre part capot ne serait que l’adaptation française de capo, chapon, châtré, épithète appliquée aux juifs pendant tout le moyen âge, et qui, par affinité, aurait passé aux parias ; cacous viendrait de caque, petit tonneau, par allusion au métier de tonneliers qu’ils exerçaient assez souvent ; gahet aurait son origine dans le verbe gascon gahar, s’attraper, s’attacher, « sans doute, dit Baurein, parce que les gahets avaient une maladie qui s’attrape ; » enfin chrestiaa s’expliquerait par la crête ou pièce dentelée de drap rouge qui distinguait ces malheureux. N’a-t-on pas voulu voir dans ce dernier nom de chrestiaa l’étymologie tant cherchée du mot crétin ?

Le plus grand tort de ceux qui jusqu’ici ont abordé la question, c’est de n’avoir pas songé suffisamment au lien étroit qui unit les parias des différentes provinces, par suite de n’avoir pas vu que la même hypothèse, pour être admissible, devait servir à la solution d’un problème commun à tous. Aussi, à tous les systèmes plus ou moins incomplets de ses devanciers, M. de Rochas préfère-t-il l’opinion qui rattache les cagots aux lépreux et qui seule, selon lui, peut s’appliquer indifféremment aux parias du nord ou du midi. Cette opinion n’est pas nouvelle, on le sait ; c’est celle du Bordelais Venuti et de plusieurs autres comme l’abbé Chaudon et Faget de Baure, mais aucun d’eux n’avait pris la peine de prouver son assertion. Or les preuves sont nombreuses autant qu’incontestables. En Espagne, le dictionnaire de l’Académie, le vieux fuero de Navarre, le Romancero du Cid, s’accordent à donner au mot gafo le sens de lépreux et à gafedad celui de lèpre ou ladrerie ; gafo dérive, à n’en pas douter, du roman gaf, croc ou crochet ; et comme un des principaux symptômes de la lèpre anesthésique consiste précisément dans la contraction des muscles fléchisseurs des doigts jusqu’à imiter la disposition d’une griffe d’oiseau de proie, il n’est pas étonnant que le mot de gafo, signifiant d’abord un homme qui a les mains croches, ait servi ensuite à désigner les lépreux. Le terme gascon gafet, d’où gahet, n’a pas lui-même d’autre origine : or nous le trouvons indistinctement employé avec celui de lépreux dans les livres de coutumes du midi de la France. Le nom de