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son propre compte avec une légère modification de sens ; mais l’ancien fuero de Navarre, cité par lui, prévoit expressément le cas où les nobles d’Espagne eux-mêmes deviendront gafos (Infanzon si tornare gafo…), et seront séparés de la société ; dès lors pourquoi chercher parmi les Mores d’Abdérame l’origine des cagots, quand cette caste pouvait se recruter dans la noblesse du pays ? D’ailleurs, si à cette époque les guerres étaient acharnées entre chrétiens et infidèles, en temps de paix les Mores domiciliés dans le pays ne souffraient d’aucune déconsidération, on ne dédaignait pas de nouer avec eux des relations de commerce ou d’amitié, et même les prisonniers de guerre, s’ils venaient à accepter le baptême, entraient par ce seul fait dans la classe libre où ils étaient traités en égaux. Ainsi s’écroule le laborieux échafaudage de Marca.

Outre ces trois systèmes principaux qui ont réuni successivement un grand nombre de partisans, il existe sur l’origine des cagots une foule d’hypothèses, les unes ingénieuses, les autres bizarres, mais qui toutes, n’étant fondées sur aucune preuve, n’ont guère d’autre valeur que celle d’une affirmation personnelle. Telle est l’opinion de Caxar Arnaut, opinion du reste assez répandue, née d’une mauvaise application d’un verset de la Bible et qui les rattache aux juifs ; l’abbé Venuti pense que ce sont les fils des premiers croisés revenant de Palestine avec la lèpre, sans réfléchir que, bien longtemps avant les croisades, il y avait en France une multitude de lépreux ; Court de Gébelin voit en eux les représentans d’une race qui aurait précédé les Cantabres dans les Pyrénées, et les Bretons dans l’Armorique ; Walckenaer les regarde plutôt comme les descendans des chrétiens de la primitive église ; d’autres en font tout simplement des pellagreux, des goitreux ou des crétins ; mais le système de M. F. Michel serait encore le plus invraisemblable de tous. Ne prétend-il pas en effet que les cagots descendent de ces Espagnols, compromis pour la cause de Charlemagne, qui se virent forcés, après la défaite de Roland à Roncevaux, d’émigrer dans le midi de la France, et, molestés par les indigènes, durent recourir, comme l’attestent plusieurs chartes royales, à la protection de Charlemagne d’abord, de Louis le Débonnaire et de Charles le Chauve ensuite ? Or une distance de près de trois siècles sépare ces chartes de la première apparition des parias ; les Espagnols dont il s’agit s’étaient établis aux environs de Narbonne, précisément en un pays où l’histoire ne nous signale point de « cagots, et en tout cas on ne sait trop comment ni à quelle occasion ils seraient remontés jusqu’en Bretagne. Quant à expliquer l’étymologie vraie du mot de cagot, mêmes contradictions. La plupart des auteurs, M. F. Michel en tête, adoptent cette singulière interprétation de caas Goths, chiens Goths. Pour celui-ci, cagot vient d’un participe latin