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Comme on l’a pu voir par tant d’exemples, l’autorité ecclésiastique, non moins que le pouvoir civil, était partout d’accord avec l’opinion pour repousser ces malheureux et leur interdire tout commerce avec leurs semblables. A quoi donc attribuer des mesures aussi rigoureuses et aussi barbares ? Évidemment, et M. F. Michel ne s’y était point trompé, à la croyance universelle alors, qu’ils étaient atteints de la lèpre. Chez les peuples anciens, et en particulier chez les Juifs, la lèpre fut toujours considérée comme un châtiment céleste infligé pour de grandes fautes : l’Écriture nous montre Marie, sœur de Moïse, et Giezi, serviteur d’Elysée, atteints tous deux de ce mal, l’une à cause de sa jalousie envers son frère, l’autre en punition de son avarice. De là l’idée d’une double souillure physique et morale qui entraînait non-seulement la séparation d’avec le peuple, mais encore l’interdiction d’approcher des choses saintes. Les rois eux-mêmes n’échappaient pas à cette dure loi, comme nous le voyons par Osias, roi de Juda. Irréconcilié jusque dans la tombe, la dépouille du malheureux devait être ensevelie séparément. Or on n’est pas sans savoir que la société chrétienne du moyen âge suivait en toute occurrence Les livres saints pour guides. Victime d’une véritable épidémie de lèpre, elle envisagea le fléau du même point de vue que les Juifs, et lui appliqua strictement la législation de Moïse. Ainsi s’explique cette sévérité inexorable soit contre les lépreux, soit contre les cagots tenus pour tels ; car, tandis que l’église entière avec l’évêque de Tréguier leur refuse le bénéfice de cette égalité dont tout homme doit jouir, ce semble, dans l’exercice de la religion et devant la mort, les divers règlemens administratifs, qu’ils soient empruntés aux fueros du Béarn ou aux coutumes des villes, aux décisions des états de Navarre ou aux arrêts du parlement de Bordeaux, aux ordonnances des rois de France ou aux mandemens des ducs de Bretagne ; tous jusqu’à la fin du XVIIe siècle multiplient à l’endroit des cagots les menaces et les prohibitions. A dire virai, dès cette époque les gens sensés n’étaient plus bien assurés que ces infortunés fussent malades d’une façon quelconque. Dans une pièce du 15 juin 1660, citée par Palassou, François Vellady, commissaire, en compagnie de deux docteurs en faculté et de deux maîtres chirurgiens de d’université de Toulouse, procédant par ordre exprès du parlement de ladite ville, après sérieuse enquête faite sur le corps et le sang de vingt-deux personnes, dont un enfant de quatre mois, tous charpentiers ou menuisiers, soi-disant cagots, pour voir si les soupçonnés ou quelques-uns d’entre eux étaient atteints de ladrerie ou de quelque autre maladie qui y eût quelque affinité, déclarent d’un commun accord avoir trouvé les vingt-deux personnes dont il s’agit toutes bien saines et