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Jean-Pierre, mon mignon ? l’as-tu donné à l’enchère ? » Quand un mariage de cagots avait lieu, c’était à qui prendrait part au charivari ; bien vite les beaux esprits du village composaient une chanson grossière, en forme de litanie, où tous les gens de la noce étaient compris et dont on accompagnait le cortège : « Pourquoi ces cuillers et ces fourchettes ?

— Pour faire la noce — De notre sœur Marguerite.

— Et qui invitez-vous à la noce — De votre sœur Marguerite ?

— Nous y invitons Tran de Pau, — Notre grand-maître ; — Estrabeau de Monein, — Notre grand souverain ; — Téberne de Labastide, — Notre grand guide ; — Maysonnade de Sunarthe, Laborde de Montfort, — Pessot de Lajuzon, — Pour leur faire honneur… »

Souvent alors des rixes éclataient, le sang coulait, mais les pauvres parias, moins nombreux, avaient presque toujours le dessous.

Cette situation exceptionnelle des cagots ne pouvait manquer d’attirer sur eux l’attention des savans et des historiens, et en effet, pour ne citer que les principaux, Marca, Court de Gébelin, Palassou, s’en sont incidemment occupés ; plus récemment, M. Francisque Michel leur a consacré la plus grande partie de son curieux ouvrage en deux volumes sur l’Histoire des races maudites de France et d’Espagne, et M. le docteur de Rochas à son tour, l’un des membres les plus actifs de la jeune Société savante de Pau, vient d’en tirer la matière d’un livre aussi intéressant qu’instructif. Du reste, il ne faudrait pas croire que la région française des Pyrénées eût seule le triste privilège de fournir asile à cette population de parias. On trouve dans le nord de l’Espagne, au midi et à l’ouest de la France, certains groupes d’individus qui, sous des dénominations diverses, présentent avec les cagots de singulières analogies ; tels sont les agotes de Navarre, les gahets de Guyenne, les capots de Languedoc, les cacous' ou caqueux de Bretagne. Voici ce qu’écrivait au commencement du XVIIe siècle, alors que le préjugé était encore dans toute sa force, don Martin de Vizcay, prêtre navarrais : « En Béarn, Navarre et Aragon, il y a une race de gens séparée des autres en tout et pour tout comme s’ils étaient lépreux et quasi excommuniés. On les appelle communément agotes. Exclus des centres de population, ils habitent des chaumières écartées : ils n’ont pas capacité pour les charges et les offices de la communauté ; il ne leur est jamais permis de s’asseoir à la même table que les naturels du pays. On croirait s’empoisonner en buvant dans un verre qu’ils auraient touché de leurs lèvres. A l’église, ils ne peuvent dépasser le bénitier. Ils ne vont pas à l’offrande près de l’autel comme les