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habitaient de pauvres cabanes, groupées fréquemment à l’abri des murs d’un château ou d’une abbaye, et séparées des villages par un cours d’eau, ou un bouquet de bois. Ils entraient dans l’église par une petite porte à eux réservée et se plaçaient à l’extrémité de la nef, derrière les fidèles qu’une balustrade en bois préservait de leur contact impur ; ils prenaient de l’eau bénite dans un bénitier particulier ou la recevaient du bedeau au bout d’un bâton ; on ne leur offrait point le pain bénit ; ils ne s’approchaient de la sainte table qu’après tous les autres, heureux encore quand ils n’en étaient pas exclus, et dans les processions, ils marchaient les derniers ; ils ne pouvaient faire partie du corps de fabrique, et n’étaient reçus dans aucune confrérie de pénitens. Après leur mort, leur dépouille était enfouie, sans nulle solennité, dans un cimetière particulier ou dans un coin du cimetière commun. Du reste, sur les registres des paroisses, comme sur les actes civils, leur nom était toujours accompagné de cette épithète flétrissante de cagot. Ils n’étaient admis nulle part aux honneurs ou aux fonctions publiques, et le seul emploi qui leur fût confié parfois était celui de fossoyeur. Ils exerçaient généralement la profession de charpentier ou de bûcheron, et la fabrication des cercueils leur était réservée. Ils étaient également chargés de construire les potences et les instrument de supplices. On ne leur eût pas permis de faire à la guerre office de combattans, mais leurs services comme charpentiers étaient utilisés pendant les sièges. Plusieurs encore étaient tisserands ; ceux-là le plus souvent se voyaient contraints de travailler pour le dehors, les gens du pays ne leur donnant presque rien à faire sous prétexte que leur drap serait encagotté. Ils étaient en beaucoup d’endroits exempts de tailles, eux et les biens qu’ils tenaient d’héritage, mais il leur était interdit de porter aucune arme ni aucun outil de fer autre que ceux dont ils avaient besoin pour leurs métiers, de traverser les villages pieds nus, d’entrer aux moulins pour y moudre leur grain, de venir boire aux fontaines ou laver aux lavoirs communs, d’entretenir aucun bétail, si ce n’est un cochon pour leur provision et une bête de somme, — encore n’avaient-ils pas pour ces animaux la jouissance des biens communaux, — de labourer, de danser et de jouer avec leurs voisins. On ne les entendait en justice qu’à défaut d’autre témoignage, et il ne fallait pas moins de quatre ou même de sept cagots pour valoir un témoin ordinaire. Ils ne pouvaient se marier qu’entre eux, car la famille qui les eût accueille se fût déshonorée, et un père eût mieux aimé voir mendier sa fille que la donner à un cagot. D’autre part, on ne perdait pas une occasion de leur rappeler leur infamie ; les cris, les chants injurieux, les accueillaient au passage : « Qu’as-tu fait de l’oreillon,