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l’Angleterre ; telle est la vérité diplomatique accréditée ; mais le fond des choses, la réalité, c’est que l’Angleterre était résolue à faire la guerre, que l’opinion publique la demandait avec une violence croissante. Michelet, avec sa pénétration ordinaire, a parfaitement décrit cette situation quand il dit : « L’art ingénieux de M. de Bismarck fut celui de Pitt en 1793 ; il ne déclara pas la guerre, mais il se la fit déclarer[1]. » L’invasion de la Belgique, l’Escaut ouvert, le décret de la convention promettant l’appui de la France à tous les peuples qui voudraient reconquérir leur liberté, c’étaient des thèmes excellens pour les orateurs du gouvernement ; mais Lansdowne donnait le vrai motif, quand il qualifiait à la tribune cette guerre de guerre métaphysique, guerre d’idées, entreprise pour écraser certains principes, pour renverser un système politique. Le consciencieux auteur de cette publication, lord Edmond Fitz-Maurice, avec une loyauté rare quand l’orgueil national est en jeu, ne cherche pas à dissimuler dans cette occasion le caractère égoïste de la politique de Pitt. Il remarque que depuis le commencement de la campagne il était parfaitement admis qu’en cas de succès les alliés se partageraient une partie du territoire français, et pas un mot de protestation ne s’était fait entendre ; mais dès que les affaires eurent pris une autre tournure et que la Belgique fut menacée par les armées françaises victorieuses, l’Angleterre, avec une gravité puritaine, rappela au respect des principes et parla de l’équilibre européen. Les amis du ministère, reprenant l’argument qu’on avait tant invoqué contre le congrès pendant les premières années de la guerre avec l’Amérique, prétendirent qu’il n’y avait pas en France un gouvernement sérieux, solide, avec lequel on pût entrer en négociation. Lansdowne répliqua que « la république était la forme de gouvernement la mieux appropriée aux circonstances de la France et se moqua de ceux qui prenaient une couronne pour une panacée contre tous les maux politiques. » Indigné de ce perpétuel bavardage sur la moralité anglaise et l’immoralité française, il exprime le vœu d’entendre le jour du jeûne prêcher sur ce texte, qu’il considérait comme une des belles pages de l’Écriture, la parabole du pharisien et du péager.

Une commune indignation contre cette politique de compression sauvage, le besoin d’unir tous les efforts des amis de la liberté, rapprochèrent Fox et Lansdowne, et leurs relations devinrent successivement plus confiantes et plus intimes. Rien n’est plus efficace pour détruire des préventions injustes que de souffrir pour la même cause et de subir ensemble les mêmes calomnies et les mêmes soupçons,

  1. Histoire du dix-neuvième siècle, t. II, p. 49.