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se fait de bien. Je n’ai jamais rencontré dans le cours de mes voyages quelqu’un qui m’ait fait une aussi profonde impression, et je sens vivement que, si jamais dans le reste de ma carrière j’accomplis une grande œuvre, j’y serai encouragé et soutenu par le souvenir de M. de Malesherbes. » L’homme de lettres qu’il vit le plus, avec lequel il entretint les relations les plus suivies et qu’il attira même chez lui, dans son beau manoir de Bowood, c’est Morellet. Il fait dater de cette relation une crise importante dans sa vie : « C’est à lui que je dois mes idées libérales en matière économique. » Jusqu’à ce moment, il avait partagé sans doute les théories arriérées des vieux whigs, qui, par haine de la France, défendaient les vieux tarifs protecteurs et considéraient comme le triomphe de la diplomatie ce traité de Methuen de 1703, qui condamnait le consommateur anglais à boire du vin de Porto fort cher, au lieu du vin de Bordeaux qu’il aurait pu obtenir à des prix moins élevés. Cette conversion ne restera pas stérile et platonique. Quand il sera au ministère, il essaiera de faire prévaloir ces principes et nous l’entendrons dire à l’ambassadeur de France Rayneval : « Il est un autre objectif de ma politique, la destruction du monopole commercial. Je le regarde comme une invention odieuse, quoique ce soit diamétralement opposé au catéchisme des marchands anglais. Je me flatte que j’arriverai sur ce point à m’entendre avec votre cour. »

Dès que la paix fut conclue, il donna les instructions les plus précises aux ambassadeurs anglais, Oswald et Fitz-Herbert, pour négocier avec la France un traité de commerce ; car, selon lui, il n’y avait de bonne paix que dans la mesure où le principe de la liberté de commerce est proclamé. A la chambre des lords, il défendit énergiquement les conditions du traité, et il répondit en ces termes aux objections que lui avaient adressées certains lords au nom des intérêts du commerce anglais : « Tous les monopoles sont toujours justement punis. Ils tuent la concurrence et la concurrence est la condition essentielle de la prospérité du commerce ; c’est l’heure d’appliquer le principe du protestantisme aux affaires commerciales. Toute l’Europe parait prête à secouer les chaînes du monopole, fils de l’oppression et de l’ignorance. Ce principe, qui n’est ni viril ni libéral, est peu généreux et plein de déceptions. Si une nation doit être la première à rejeter le monopole, c’est bien la nation anglaise, dont l’industrie est plus développée que celle des autres peuples. Avec l’esprit d’entreprise qui nous distingue entre tous et de plus grands capitaux qu’aucune autre nation, nous ne devons avoir qu’un seul cri : que tous les marchés soient libres et la concurrence loyale. Nous ne demandons rien de plus. »

Shelburne ne favorisa pas seulement la doctrine qui préconise la