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les dépenses de la liste civile, Shelburne ne voulait pas laisser annuler la couronne et réduire son rôle à la situation d’un roi fainéant sous les maires du palais, ou, comme il disait, d’un de ces souverains des Mahrattes qui n’est qu’un mannequin royal, à côté de l’élu de l’aristocratie, investi de tout le pouvoir réel. Ainsi il maintint contre les harangues enflammées et outrageantes de Fox et de Burke le droit qu’avait la couronne de choisir le premier ministre et dont elle avait fait usage en le désignant pour succéder à lord Rockingham qui venait de mourir. Il soutint comme la doctrine constitutionnelle que, si l’on dépouillait la couronne de cette prérogative, si elle ne pouvait plus choisir ses serviteurs, on supprimait de fait un des rouages essentiels de la constitution ; alors l’élément monarchique était absorbé par l’élément aristocratique, et la constitution anglaise n’existait plus. Il est permis en effet, sans encourir le soupçon de vouloir trahir la liberté, de penser que sous un régime de monarchie constitutionnelle la couronne doit avoir son rôle et son initiative. Shelburne avait le sentiment qu’au milieu des compétitions des partis il est difficile à une assemblée de faire un choix judicieux, offrant des garanties de durée. Alors, si le roi est un homme de sens et de tact, s’il porte son choix sur l’homme modéré que l’assemblée cherche à tâtons au milieu des intrigues et du bruit des partis, il peut ramener le calme et la confiance dans les esprits en plaçant à la tête du pays celui qui est le plus capable de comprendre les volontés de la nation et d’en préparer l’exécution.

En tout cas, dans ce duel implacable où le roi et le parti whig poursuivaient, chacun de leur côté, le triomphe de leur prérogative et se disputaient la prédominance dans le gouvernement, Shelburne, en paraissant se jeter d’un côté, pratiquait, sans l’avoir peut-être bien préméditée, la tactique d’Horace, et il abaissait l’un des adversaires pour favoriser aux dépens des deux égoïsmes vaincus l’avènement de la démocratie. Dans ce clair-obscur des intrigues et des compétitions politiques, où les principes disparaissent souvent derrière les violences de l’intérêt personnel qui grossit et dénature tout et où l’on finit par ne plus savoir où est le fil de l’eau, il conspirait avec la force des choses ; il préparait cette transformation de la constitution anglaise qui ne s’est guère révélée que dans ces dernières années, il assurait la prépondérance de l’élément populaire en face de l’aristocratie et de la couronne.


III

Pendant les dernières luttes ministérielles, Shelburne avait perdu sa femme. Toutes ces épreuves avaient ébranlé sa santé ; il partit pour l’étranger avec son ami le colonel Barré. Il visita la France et