Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les auteurs de la constitution promulguée en 1854 s’étaient rendu compte que cette œuvre, loin d’être parfaite, n’était qu’un acheminement vers des institutions plus libérales. En éliminant des deux assemblées les principaux fonctionnaires, ils avouaient avoir rendu impossible le gouvernement par parti, si cher à tout citoyen anglais. Les membres des corps électifs pouvaient légiférer autant qu’il leur en prenait fantaisie ; la loi votée, ils n’avaient plus le souci de la mettre à exécution. On avait pensé, à tort ou à raison, que la population du Cap, assez instruite pour fournir des législateurs, n’avait point cependant assez d’expérience des affaires publiques pour fournir des administrateurs. Qu’en advint-il ? Au début de cette ère nouvelle, la prospérité fut telle que le revenu doubla presque dans les cinq premières années. L’embarras des richesses n’était pas à craindre dans un pays où tout était à faire. Jusqu’alors les travaux publics productifs avaient été réservés aux districts les plus proches de la capitale. L’un des premiers soins des représentans élus fut d’en doter aussi les districts plus éloignés. La dépense s’accrut au point qu’il fallut bientôt songer à de nouveaux impôts ou à des réductions ; le secrétaire colonial vint un jour proposer un droit de sortie sur la laine, le produit d’exportation le plus important. L’assemblée législative ne voulut pas en entendre parler ; malgré cela, au lieu de réduire le budget, elle accueillit de nouvelles propositions de dépenses. Les membres du gouvernement se dirent alors qu’il ne leur appartenait point de combler le déficit ; étant admis que toute aggravation de taxe devait être adoptée d’abord par les élus du peuple, ils en conclurent que l’assemblée avait mission de régler le budget sans l’intervention du pouvoir exécutif. D’autre part, les députés du peuple se déclaraient incapables de remplir cette tâche par le motif que les renseignemens utiles leur faisaient défaut. En Europe, il n’est pas rare que députés et ministres se querellent sur une question d’attribution ; il est sans exemple peut-être qu’ils se renvoient les uns aux autres l’initiative d’une mesure que tous reconnaissent indispensable.

Le conflit fut de longue durée parce que les partis opposés différaient d’avis sur le moyen d’y remédier. Les libéraux soutenaient que le gouvernement parlementaire complet, avec la responsabilité ministérielle, était seul capable de remettre en bon ordre les finances du pays. La plupart des colons étaient de cette opinion ; quelques fonctionnaires, entre autres M. Porter, l’un des auteurs de la constitution en vigueur, défendaient la même thèse. Au contraire, s’il fallait en croire le gouverneur, la crise était due à ce que la couronne avait accordé aux habitans du Cap des franchises prématurées. Sir Philip Wodehouse, qui n’avait vécu, avant de venir en Afrique, que dans les colonies régies par le pouvoir absolu, avait