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auteur, et même du climat de la région qu’il habite. Moins excessif, moins systématique, M. Mignet s’est borné à noter les influences incontestables, celles qui se sont exercées pendant l’enfance. C’est ainsi qu’il montre comment Broussais apprit de bonne heure à ne rien craindre et donna, dès son jeune âge, des preuves de l’énergie audacieuse qu’il porta plus tard dans la conduite de la vie et les luttes de la science. « Son père, médecin dans un petit village, l’envoyait de nuit porter dans les campagnes les remèdes qu’il avait prescrits à ses malades. Souvent il ignorait-la route qu’il devait parcourir et il se laissait alors guider jusqu’à la chaumière inconnue par le cheval qui y avait conduit son père pendant le jour. Le jeune et intrépide enfant (il n’avait pas alors douze ans) traversait ainsi sans hésitation et sans trouble des bruyères désertes, silencieuses et mal famées, s’aguerrissant dans ces courses nocturnes contre les craintes vagues, qui n’eurent pas plus de prise sur lui que les dangers réels[1]. » C’est ainsi encore que M. Mignet montre Jouffroy, dans son enfance, « se rendant souvent sur un plateau élevé d’où il apercevait la vaste chaîne des Alpes qui se déroulait devant lui avec ses vallées profondes et ses pics élancés, aimant du pays de sa jeunesse l’air libre, les horizons lointains, les neiges éclatantes, les forêts vertes, et y puisant ces belles et fortes teintes qui lui servirent à revêtir ensuite d’un langage naturel et coloré des pensées étendues et profondes[2]. » C’est dans le même ordre d’idées que nous trouvons dans la notice consacrée à Macaulay ce trait significatif : « Une vieille demeure des anciens Templiers, avec ses vingt-huit fenêtres de front, sa chapelle grise attenant au manoir, son site agréable sur les confins de la forêt de Charnwood et où se trouvaient conservés de respectables débris des temps passés, des casques qu’avaient portés des guerriers du moyen âge, des épées qui avaient été tirées dans le grand armement de 1588 contre l’invasion projetée de Philippe II, fut le berceau du futur et pittoresque historien[3]. » M. Mignet se garde bien d’insister. Une anecdote pour Broussais, un trait pour Jouffroy, une épithète pour Macaulay, lui suffisent pour exprimer un rapide rapprochement, ou plutôt pour en éveiller l’idée dans l’esprit du lecteur. Aller plus loin eût été tomber dans le système. Mais M. Mignet a été avec raison moins réservé et plus affirmatif en ce qui touche aux influences premières quand il a parlé des acteurs principaux de la révolution. Pour tous les hommes en effet qui ont eu la fortune de respirer de bonne heure, dans l’atmosphère enivrante du XVIIIe siècle, l’esprit de liberté philosophique, cette action a été décisive. Nous en trouvons

  1. Notices et portraits, t. Ier, p. 245.
  2. Notices et portraits, t. III, p. 5.
  3. Notices et portraits, t. III, p. 317.