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publiés. L’historien-orateur, comme le nommait ici même, il y a trente ans, un critique célèbre[1], a de plus en plus justifié cette dénomination dans ces magnifiques études qui, s’élevant aujourd’hui au nombre de trente-deux et embrassant un siècle de notre histoire, forment un vaste ensemble tout à fait digne d’un examen approfondi et d’une étude complète. Libre dans le choix de ses sujets, M. Mignet a attesté cette indépendance en laissant de côté des hommes qu’il ne lui convenait pas de peindre et en choisissant ses personnages non-seulement parmi les membres français de l’Académie dont il est le secrétaire perpétuel, mais aussi parmi les associés étrangers pris dans les sommités scientifiques du monde entier. Avec quelle entière impartialité il les a jugés ; avec quelle pénétration il a étudié tour à tour les plus illustres représentans de toutes les grandes idées de la fin du dernier siècle et de notre temps ; comment et avec quelle opportunité le biographe, excellant à pénétrer dans la vie intime des hommes et à expliquer la formation de leur caractère, est toujours resté l’historien dont la vue embrasse l’ensemble des événemens et démêle leurs véritables causes ; comment il a ainsi donné à ses portraits un cachet particulier, une marque originale, c’est ce que nous allons essayer de montrer. Nous le ferons avec l’attention scrupuleuse qui convient à un tel juge. Il s’est donné pour but moins d’écrire des éloges que d’étudier avec indépendance la part prise par certains hommes dans les événemens contemporains et de faire l’histoire de leurs systèmes et de leurs travaux. C’est en cela que nous nous efforcerons de l’imiter. Louer M. Mignet est superflu ; rendre compte de sa méthode et tâcher d’en pénétrer le secret peut ne pas être sans quelque utilité.


II

Ç’a été, de la part des organisateurs de l’Institut, un acte d’équité incontestable que de créer une classe particulière pour les sciences morales et politiques. Le XVIIIe siècle en effet, après avoir agrandi les sciences mathématiques et physiques auxquelles, dès le XVIIe siècle, le génie de quelques hommes avait imprimé une vive impulsion, posa les fondemens des sciences morales et politiques. Proclamant l’indépendance entière de la raison, fondant l’ordre social sur l’utilité réciproque, donnant l’égalité civile comme base de la loi, érigeant en dogme le progrès successif de l’espèce humaine, il n’a pas seulement obtenu les résultats considérables dont nous jouissons et cette liberté que nous devons à ses efforts. Il a aussi,

  1. Sainte-Beuve, Revue du 15 mars 1846.