Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le langage que nous venons de citer. Ce qui s’est passé en Angleterre depuis la mort de Palmerston, les vicissitudes parlementaires qui firent succéder le ministère du comte Derby au ministère de lord John Russell, qui ramenèrent ensuite les whigs avec M. Gladstone, puis les tories avec M. Disraeli, tout cela n’est point de notre sujet. Nous ne retenons des paroles de Stockmar que ce qui intéresse le régime constitutionnel dans tous les pays libres. C’est par là que les dernières pensées du solitaire de Cobourg nous apparaissent comme son testament et couronnent les leçons de droit public consignées dans ses Mémoires.

L’inspiration de ces paroles suprêmes, c’est la crainte que le vrai régime constitutionnel ne soit vicié par l’usurpation de l’un des trois pouvoirs. Sur ce point comme sur tant d’autres, Stockmar avait bien vu et bien prévu. N’est-ce pas là précisément un des dangers de l’heure présente, partout où la liberté est en lutte avec la démocratie ? Nous ne cherchons pas à faire intervenir ici les questions qui nous harcèlent ; mais si les rapprochemens naissent du sujet même, nous tenterions en vain de les écarter. Les remarques de Stockmar s’appliquent à tous les régimes politiques, à la république comme à la monarchie, à la république parlementaire comme à la monarchie constitutionnelle ; c’est l’éternel problème de la liberté régulière et de la tyrannie. Vraie question de sphinx ; si on ne trouve pas le mot de l’énigme, on est dévoré par le despotisme d’un homme ou par le despotisme de la foule.

Dans nos pays de race latine, à quoi se réduit le plus souvent l’action des esprits d’élite que tourmente le noble souci de la liberté ? Quand là démocratie violente ramène le césarisme, ils s’attachent à ce qui peut rendre le césarisme libéral ; quand le césarisme ramène la démocratie violente, ils s’attachent à ce qui peut rendre la démocratie libérale et respectueuse de tous les droits. Telle était, par exemple, l’inspiration d’Alexis de Tocqueville, telle est encore la tradition de ceux qui l’admirent et qui le suivent. Stockmar était un Tocqueville britannique ; plus heureux pourtant, il s’adressait à une race d’hommes qui a le sens politique plus avisé, une raison plus souple, et qui ne poursuit pas de solutions à outrance.

Au mois de juillet 1791, tandis que l’assemblée constituante achevait la transformation de la monarchie, on vit paraître un pamphlet très vif dirigé contre le régime constitutionnel. Cette brochure, écrite avec esprit, était intitulée : Lettre d’un jeune mécanicien. Ce jeune mécanicien s’adressait à l’assemblée nationale et lui offrait de fabriquer, pour une somme modique, un roi constitutionnel réunissant toutes les conditions désirables. Il ne vous coûtera pas cher, disait-il, et il fonctionnera imperturbablement. Ne