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inquiétante des manifestations populaires, car c’est celle qui révèle la plus grave altération des mœurs nationales. »

M. Guizot éprouve bien quelques doutes au sujet de ce tableau. S’il faut se défier de l’imprévoyance des honnêtes gens, il faut se défier aussi de leur crédulité. Ils aiment « à s’aveugler sur les périls de la situation et les chances de défaite, pour s’épargner les fatigues du combat ; » mais quelquefois aussi on les voit « s’exagérer le danger pour se donner le droit de recourir aux moyens extrêmes qui rassurent un moment, s’ils ne sauvent pas. » L’heure est critique pourtant, nul ne peut le nier ; c’est donc le moment de rappeler à tous les Belges, particulièrement aux libéraux, le grand principe trop oublié qui est par-dessus tout la garantie des peuples libres. M. Guizot se souvient alors des doctrines qu’un autre noble esprit, Alexis de Tocqueville, a exprimées avec force dans son livre de la Démocratie aux États-Unis : sans croyances religieuses, point de liberté politique. Quels sont les peuples qui ont le mieux réussi à établir chez eux cette liberté ? Les peuples d’Angleterre, de Hollande, et des États-Unis d’Amérique, c’est-à-dire les peuples qui, malgré leurs misères morales, ont conservé en définitive un grand fonds de christianisme. M. Guizot applique ces hautes pensées aux libéraux belges, à ceux qui sont vraiment dignes de ce titre, et il leur dit avec l’autorité de sa grande parole : « Vous avez eu cette bonne fortune que l’élément religieux, chrétien, catholique, a marché avec vous à la première conquête de la liberté ; vous avez encore plus besoin de son concours pour l’affermir et la conserver. Il vous en coûtera souvent des déplaisirs à surmonter, des ménagemens à garder, des sacrifices à faire ; n’hésitez pas, ne perdez pas de gaité de cœur l’heureuse chance que vous avez obtenue à l’entrée de la carrière ; l’alliance chrétienne est pour vous la condition du bon et durable succès libéral. »

Stockmar, Thiers, Guizot, il suffit de rappeler de tels noms pour faire comprendre tout l’intérêt qui s’attachait à l’expérience belge et toute la gravité de l’épreuve que traversait le roi Léopold. En somme, malgré la diversité des points de vue, les conseils pratiques aboutissaient à une même conclusion : le roi avait eu raison de suspendre un débat qui soulevait bien à tort les passions populaires. On connaît le cri de Mirabeau emprunté à une jolie comédie en vers du poète La Chaussée :

Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison.


Ici, assurément, ce n’était pas tout le monde qui avait tort, mais c’était un parti nombreux, considérable, qui sur ces questions brûlantes pouvait du jour au lendemain se trouver en majorité. Ce changement ne tarda pas à se produire. La clôture de la