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obligés de trouver à chaque phase nouvelle du développement social le modus vivendi qui leur convient. Voilà comment la question, si simple en théorie, offre de si grandes difficultés dans la pratique. À juger le problème de haut, l’état représente des choses variables, l’église représente des choses éternelles ; l’état est soumis à la loi du progrès, l’église est liée par une loi de fixité ; l’état se meut dans la science, l’église se meut dans la foi ; l’état se déplace sans cesse, l’église, qui marche aussi à sa manière, paraît toujours immobile. De là, selon les temps, des inégalités de développement, des écarts de direction, inévitable cause de malentendus et de défiances. Or une crise de défiance est une crise de guerre ; à tout moment, à tout propos, les explosions sont possibles, comme on l’a vu en Belgique au mois de mai 1857.

On pense bien que nous n’avons pas à juger ici la loi de bienfaisance présentée aux chambres belges par le ministère Decker ; nous ferons remarquer seulement le langage tenu à cette occasion par le roi Léopold. « Jamais, dit-il dans sa lettre à M. de Decker, jamais je n’aurais consenti à donner place, dans notre législation à une loi qui aurait pu avoir les funestes effets qu’on redoute. » Puisqu’un souverain si sage, si attentif, le vrai maître du droit constitutionnel, a jugé ainsi la loi de bienfaisance, il est probable que les appréhensions des adversaires de la loi n’avaient rien de fondé. D’autre part cependant le roi déclare qu’il doit tenir compte de l’impression produite sur une grande partie du peuple belge. « Il y a, dit-il, dans les pays qui s’occupent eux-mêmes de leurs affaires, de ces émotions rapides, contagieuses, se propageant avec une intensité qui se constate plus facilement qu’elle ne s’explique, et avec lesquelles il est plus sage de transiger que de raisonner. » Ces deux sentimens du roi présentent le résumé fidèle de la question : innocence de la loi, si on l’examine au point de vue de la justice, nécessité de la retirer ou de l’ajourner, puisque l’opinion publique l’a mal comprise. Volontiers j’appliquerais ici le langage de Kant et je conclurais en ces termes : La raison pure dit oui, la raison pratique dit non.

C’est aussi la pensée de Stockmar. Lorsqu’il apprend à Cobourg les émeutes qui agitent Bruxelles et la Belgique entière, si violente que soit la crise, il n’éprouve aucune inquiétude. Il a confiance dans la monarchie constitutionnelle, il croit que cette forme de gouvernement, par sa vigueur et sa souplesse, est plus en mesure que nulle autre de dominer les circonstances, d’apaiser les passions, de rétablir l’équilibre entre les partis. Cette foi dans l’institution est rehaussée encore par la haute opinion qu’il a du prince chargé d’en assurer la marche. Il compte sur la raison supérieure du roi