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orateurs catholiques sont hués par la foule. Le lendemain, mêmes violences et plus graves encore ; les ministres sont accueillis par des murmures, le nonce du pape est insulté. L’émeute est maîtresse de la ville, et déjà l’agitation gagne rapidement les provinces. Le roi avait pu croire que les scènes du 27 étaient une échauffourée dont la police aurait aisément raison ; la persistance et l’audace des manifestans pendant la journée du 28 lui montrèrent que le danger était sérieux. Le soir, à neuf heures, il quitta le château de Laeken pour venir présider à Bruxelles le conseil des ministres. La même foule qui huait la majorité de la chambre eut beau faire une ovation au roi, le roi était profondément irrité. Il ne s’agissait pas de sa personne, il s’agissait de l’honneur de la Belgique. Le conseil réuni, Léopold déclara qu’il fallait s’occuper avant tout du rétablissement de l’ordre, dût-on employer les moyens les plus énergiques. Il ne reculerait devant aucune mesure. Si l’état de siège était nécessaire, il décréterait l’état de siège. S’il fallait qu’il payât de sa personne, on le verrait marcher sur l’émeute. « Je monterai à cheval, disait-il, je ne laisserai pas opprimer la représentation nationale, je ne laisserai pas outrager la majorité. » Qui aurait pu se défendre d’une émotion poignante en voyant ce roi, toujours si maître de lui, si grave, si digne, s’exprimer avec une telle vigueur ? Pendant qu’il parlait, nous dit son historien[1], « sa voix, son geste, son regard, tout révélait une indignation profonde. » Noble indignation, ajouterons-nous, noble et sainte colère, car il n’y avait là aucun retour sur lui-même, aucun sentiment égoïste, il n’y avait que la douleur d’une belle âme atteinte dans sa foi, humiliée dans son œuvre. Puis tout à coup, comme si l’idée d’intervenir directement et de sa personne pouvait sembler contraire aux vrais principes constitutionnels, allant au-devant de l’objection qu’il lisait peut-être dans les yeux de ses conseillers, il s’écriait : « Il n’y a plus ici de régime parlementaire, le régime parlementaire est mort. Vous comprenez cela, messieurs ; vous comprenez qu’aujourd’hui 28 mai on a mis fin au régime parlementaire, on a violé la constitution ! » Et il reprenait avec plus de force : « Oui, on a violé la constitution. J’ai tenu mon serment depuis vingt-six ans. On vient de m’en dégager. Qu’on ne l’oublie pas. »

Le roi, dans son irritation, se croyait si dégagé des règles constitutionnelles qu’il était décidé à se découvrir, à intervenir de sa personne au milieu de la lutte, à S’exposer aux coups des partis. Il avait commencé, c’était son devoir, par assurer l’ordre dans les rues. Il avait fait diriger sur Bruxelles les troupes disponibles des cités voisines. Ce n’était point assez ; il annonça au conseil des

  1. M. Théodore Juste. Voyez Léopold Ier roi des Belges, 2e partie, p. 176.