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au jubilé du roi son ami. En face des faiseurs de crises, il plaçait avec admiration Léopold Ier roi des Belges, saluant en lui le vrai chef d’état, l’homme qui connaissait le mieux les parties divines de l’art de gouverner, le souverain qui s’appliquait sans cesse à se conformer aux lois éternelles.


II

Y avait-il de l’exagération dans ces paroles ? Stockmar s’était-il trop hâté de célébrer à sa manière le triomphe du roi des Belges ? « Attendons la fin, » a dit notre La Fontaine, et bien avant le fabuliste toute l’antiquité avait tenu le même langage. Tous les lettres connaissent la belle sentence du poète latin si bien commentée par Montaigne :


Ultima semper
Expectanda dies homini est, dicique beatus
Ante obitum nemo supremaque funera débet.


Ovide, quand il écrit ces vers, ne fait que traduire Sophocle, qui lui-même répétait Solon. Le dernier mot de l’Œdipe-roi est justement cette moralité à la fois si simple et si grave que M. Jules Lacroix nous a rendue à son tour avec une précision antique :

Ne proclamons heureux nul homme avant sa mort !


Ces vérités aussi vieilles que le monde, quoique toujours oubliées, se présentent tout naturellement à l’esprit, ou plutôt elles s’imposent à nous, bon gré, mal gré, le jour où ce triomphe du mois de juillet 1856 est comme effacé par l’émeute violente qui excita dans l’âme du roi de si généreuses colères.

C’est le 27 mai 1857. Une foule hostile occupe les abords du Palais de la Nation. La chambre des représentans discute une loi qui divise les catholiques et les libéraux. Il y a quatre semaines que le débat est ouvert, et les vieux dissentimens sont devenus des passions haineuses. La majorité, favorable aux catholiques, a déjà voté trois articles de la loi, il est probable que la loi passera tout entière. C’est alors qu’une partie de la population se soulève. Le désordre est au dedans comme au dehors de la salle des séances. Le sanctuaire de la législation, toujours si respecté jusque-là, est souillé par des violences qui rappellent les plus mauvais jours des pays révolutionnaires. Tandis que le plus grand nombre des mécontens, dans une attitude menaçante, assiège et bloque le palais, les autres ont pénétré dans les tribunes, où le tumulte va croissant d’heure en heure. Quand les députés sortent, les principaux