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pas une commune, pas un bourg de la Belgique qui n’ait considéré comme un devoir de s’associer à cette manifestation nationale. Le roi ne pouvait aller partout ; il voulut du moins se rendre avec sa famille dans tous les chefs-lieux des provinces. Chacune des grandes villes eut ses solennités, et dans toutes les zones du pays, chez les Flamands comme chez les Wallons, on vit le même empressement loyal, la même cordialité enthousiaste. On peut dire que ce fut un spectacle à étonner l’Europe ; tous les esprits attentifs en furent singulièrement frappés. Le Moniteur universel n’était que l’interprète d’un sentiment unanime lorsqu’il résumait en ces termes le récit du jubilé belge : « L’Europe a applaudi sincèrement à ces félicitations que le peuple belge et le roi Léopold se sont mutuellement adressées… Le peuple belge s’est montré noblement reconnaissant, et il a donné un exemple bien rare dans l’histoire de l’humanité en rendant à son souverain vivant cette justice que presque toujours la reconnaissance des peuples n’accorde aux rois qu’après leur mort. »

Stockmar n’avait pu assister aux fêtes de Bruxelles. Cette année même, au printemps de 1857, il avait pris congé pour toujours de ses augustes hôtes de Windsor. Sa tâche était finie. Atteint de maladies graves, fléchissant sous le poids de l’âge et sentant venir l’heure suprême, il avait demandé à la reine et au prince la grâce d’aller mourir dans son pays natal. Avant de quitter la royale famille dont il semblait faire partie, il avait écrit à son premier maître une lettre bien touchante. Il y avait quarante ans qu’il était l’ami du roi Léopold, il y avait vingt ans que le roi Léopold l’avait placé comme un conseiller auprès de sa nièce la reine Victoria. C’est donc à son premier maître et ami qu’il rendait ses comptes, pour ainsi dire, en lui annonçant d’une voix émue sa résolution d’aller mourir à Cobourg au milieu des siens :


« C’est au printemps de 1837, voilà juste vingt ans, que je suis venu pour la seconde fois en Angleterre afin d’y assister la princesse Victoria, aujourd’hui la reine. Je vais avoir cette année soixante-dix ans, et d’esprit comme de corps je me sens désormais trop faible pour continuer plus longtemps ce laborieux office, cet office accablant d’ami paternel, de confesseur éprouvé. Il faut absolument que je prenne congé de mes fonctions et cette fois pour toujours. Ainsi le veut la loi de la nature. Je suis heureux du moins de pouvoir le faire avec la conscience la plus pure, car j’ai exercé mon action à l’abri de tout reproche, aussi longtemps que mes forces me l’ont permis. Le sentiment que j’ai de ce devoir accompli est la seule récompense à laquelle j’aie prétendu ; or je sais que mon bien aimé seigneur et ami, dans sa pleine connaissance