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ne s’y opposait. D’anciennes ordonnances de la compagnie hollandaise défendaient, il est vrai, de dépasser la frontière ou d’entrer en négociation avec les natifs ; mais ces prescriptions étaient tombées en désuétude. Quel moyen d’ailleurs de retenir des gens qui répudient la terre natale et renoncent à leur nationalité ? Il était aussi impossible d’arrêter les boers sur la rive gauche du fleuve Orange qu’il le serait d’empêcher les habitans de la Grande-Bretagne de partir pour les États-Unis.

Ces raisonnemens étaient irréfutables ; cependant le nombre des fuyards augmentait chaque jour. L’évaluation que l’on en fit alors varie entre 5,000 et 10,000. C’était un entraînement général, une sorte de folie contagieuse, assez malfaisante au surplus, puisque les émigrans abandonnaient le certain pour l’inconnu, quittaient des habitations héréditaires pour se lancer avec femmes et enfans dans le désert. L’exaltation religieuse ne fut pas étrangère à ce singulier exode. Le bruit avait couru que le gouvernement prétendait convertir la population du Cap à la religion catholique. Quelques-uns crurent, en se dirigeant vers le nord, s’approcher de Jérusalem. Chaque groupe se choisissait un chef avant de se mettre en route. Bientôt ils se réunirent tous sous le commandement de l’un d’eux, Pieter Retief, de vieille famille huguenote, qui avait tenu un certain rang dans la colonie. Avant de passer la frontière, Retief avait lancé, au nom des fermiers réunis sous ses ordres, une déclaration dont il n’est pas sans intérêt de reproduire les principaux passages. « Nous quittons cette colonie avec la conviction que le gouvernement anglais n’a plus rien à exiger de nous et voudra bien à l’avenir ne pas s’occuper de nous. Pendant notre voyage et lorsque nous serons arrivés sur le lieu de notre résidence définitive, nous ferons connaître aux natifs notre intention de vivre en paix. Où que nous allions, nous maintiendrons le principe de la liberté. Il n’y aura plus d’esclaves ; mais nous sommes déterminés à établir des relations convenables entre le maître et le serviteur. » Peut-être cette dernière phrase, dont le sens est ambigu, contient-elle la vraie pensée des émigrans. Leur principal motif de mécontentement était l’abolition de l’esclavage. Ils avaient si mal compris la loi votée à cet effet par le parlement britannique qu’ils s’étaient crus spoliés sans dédommagement. La plupart vendirent à vil prix leurs bons d’indemnités ou même négligèrent d’en recevoir le montant avant de se mettre en route.

Une fois au-delà du fleuve Orange, les boers marchèrent au nord afin d’éviter les Cafres. Ils traversaient le territoire qui forme aujourd’hui l’état libre d’Orange, au milieu de tribus peu dangereuses. Cependant, au voisinage de la rivière Vaal, un chef zoulou,