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commercial de la compagnie ; bien plus, les autorités locales prenaient à tâche de leur faire perdre leur nationalité. Peu de temps après qu’ils furent arrivés, l’usage de la langue française leur fut interdit dans leurs rapports avec le gouvernement ; bientôt on défendit même de prêcher en français dans l’église qui leur était réservée. Aussi cessèrent-ils peu à peu de se servir de la langue maternelle. Le voyageur Levaillant, qui parcourait l’Afrique australe vers 1780, ne vit plus qu’un seul vieillard qui sût parler français. Il ne restait déjà plus de trace de cette émigration que dans les noms propres, ces fossiles de l’histoire.

Français ou Hollandais d’origine, tous étaient fort mécontens du pouvoir arbitraire que le gouvernement s’arrogeait sur eux. Réclamer était inutile ; retourner en Europe n’était pas facile, car la plus heureuse traversée ne durait guère moins de quatre mois à cette époque. Les plus entreprenans commencèrent dès lors à chercher vers l’intérieur du pays un refuge contre le despotisme dont ils étaient victimes. Sous prétexte que leurs troupeaux exigeaient de vastes pâturages, ils allaient devant eux, s’arrêtaient lorsque le terrain semblait favorable, reprenaient leur marche en avant, combattus parfois par les indigènes, bien accueillis le plus souvent par les tribus sauvages, dont le caractère naturel est doux et serviable. Cette existence nomade étendit démesurément les limites de la colonie ; mais la population européenne n’en reçut pas grand profit. S’habituant à vivre au hasard, écartés les uns des autres, sans autre culture intellectuelle que la lecture de la Bible, les pionniers hollandais perdirent en civilisation ce qu’ils gagnaient en indépendance. On leur donna dès cette époque le nom de boers ou fermiers de la frontière, qu’ils portent encore. Le gouverneur faisait son possible pour leur interdire tout commerce avec les natifs ; il n’y parvenait pas. Aux environs de la ville du Cap, les Hottentots s’étaient réduits de leur plein gré au rôle d’esclaves des hommes blancs, en compensation de la nourriture et de la protection que la servitude leur assurait. Au-delà vivaient des tribus moins pacifiques, Boschimans au nord, Cafres à l’est, qui enlevaient les troupeaux, brûlaient ou pillaient les fermes isolées. Il était donc périlleux de s’établir suite frontière. Les boers s’habituèrent à se défendre eux-mêmes ; le gouverneur ne put que donner une apparence d’organisation à ces escarmouches continuelles. En chacun des districts menacés, il instituait un chef, veld-cornet, investi du droit de proclamer le commando, c’est-à-dire de convoquer les fermiers voisins et de se mettre à leur tête pour repousser les indigènes et pour leur reprendre avec usure le bétail pillé. Cette organisation défensive est bien primitive ; cependant elle subsiste encore, comme on le verra plus loin par le