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tenaient chez ce prélat éclairé. Plus tard il fut l’un des organisateurs des réunions d’un esprit tout semblable qui prirent le nom de réunions Mortemart, et plusieurs fois on se donna rendez-vous chez lui pour s’entendre sur l’opposition à faire aux mesures du ministère de M. de Villèle, dont mon père s’était porté l’adversaire résolu. A la cour, où l’on ne pouvait douter de l’attachement de mon père et de son peu d’ambition, on ne comprenait rien à cette conduite. « Mais d’où vient donc le mécontentement de M. d’Haussonville ? disait Charles X. Est-ce qu’il voudrait qu’on le fît duc ou grand louvetier ? Encore faudrait-il au moins qu’il prît la peine de le demander. » Mon père n’avait rien à demander, car, en réalité, il ne souhaitait rien, sinon de pouvoir détourner à temps un malheureux prince de la voie funeste où il s’engageait alors, et qui le conduisit aux abîmes. Lors du ministère de M. de Martignac, mon père fut nommé secrétaire de la chambre des pairs. En cette qualité, il allait, avec le bureau de la chambre, porter, de temps à autre, aux Tuileries, les lois qu’avait votées la chambre. Charles X retenait toujours le bureau pour causer ; la loi récemment votée servait habituellement de point de départ à la conversation, mais bientôt on passait à des généralités politiques. Non-seulement le roi, qui s’adressait plus volontiers à mon père, parce qu’il l’avait connu en émigration, tenait dans ces occasions un langage parfaitement constitutionnel, mais il semblait mettre quelque empressement et presque de l’affectation à rassurer ses interlocuteurs sur ses dispositions à l’égard de la charte et des libertés publiques. Ses paroles avaient l’air un peu étudiées, mais d’ailleurs enjouées, caressantes. Étaient-elles sincères ? Mon père n’en a jamais douté.

Les ordonnances de juillet ne surprirent pas seulement mon père, elles l’indignèrent. Il aurait toutefois préféré un autre dénoûment à la crise. Le 3 août, il écrivit au lieutenant général du royaume pour l’engager à ne pas porter ses mains sur la couronne et à la placer sur la tête du duc de Bordeaux. — Le roi n’a jamais parlé de cette lettre à mon père, qui a toujours cru cependant qu’elle était parvenue à son adresse. Voici pourquoi : A la sortie de la séance du 9 août 1830, la reine prit mon père par le bras, et, l’entraînant et le pressant contre elle, se mit à lui parler d’une voix émue et précipitée. Malheureusement les tambours qui battaient aux champs empêchèrent mon père d’entendre cette confidence royale. «…Malgré nous, croyez-le bien, malgré nous, » furent les seuls mots qui parvinrent un peu distinctement à son oreille. Il a toujours été persuadé que la reine, ayant eu connaissance de sa démarche, avait voulu lui expliquer les motifs de la détermination du roi.