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elles se prolongeaient et s’animaient un peu, les interlocuteurs de l’empereur en sortaient le plus souvent très émus, exaltés ou atterrés, suivant le traitement qu’ils avaient reçu. Ceux qui n’avaient été admis que pendant un instant imperceptible n’en tarissaient pas moins en éloges. Ils ne pouvaient contenir leur admiration. L’expression de cet enthousiasme ne variait guère. « Si vous saviez tout ce que m’a dit l’empereur ? Ah ! quel homme, quel génie ! » disaient vingt fois le jour à mon père des personnes qui n’avaient fait qu’ouvrir et refermer la porte de son cabinet. Cette admiration était d’ailleurs parfaitement sincère. Le dévoûment passionné des généraux et des dignitaires de l’empire pour la personne de l’empereur était alors profond, quoique celui de quelques-uns ait failli depuis à l’épreuve. Ils l’aimaient réellement ; mon père en a eu mille preuves. Un jour, la porte du cabinet était restée entre-bâillée à cause des jeux du petit roi de Rome ; de la salle d’attente, on voyait l’empereur assis auprès de Marie-Louise et badinant avec l’enfant. Mon père se sentit frapper sur l’épaule. C’était un maréchal fameux qui n’était pas venu à Paris depuis longtemps et qui recevait une première audience. « Mais voyez donc, monsieur, dit-il à mon père, voyez donc ! , n’est-ce pas là le parfait modèle du bonheur domestique ? » Et le maréchal n’était pas seulement ému, il pleurait à chaudes larmes. Le spectacle de la grandeur heureuse a toujours eu le privilège d’attendrir le cœur des hommes.

Les jours où l’empereur se rendait au conseil d’état, le chambellan de service l’accompagnait toujours, non sans avoir reçu des valets de chambre trois ou quatre tabatières de rechange, car si les séances étaient intéressantes, si l’empereur se mettait à discuter, il faisait une consommation ou plutôt un gaspillage incroyable de tabac. Mon père a assisté à plusieurs belles discussions. Il n’y régnait pas toute la liberté qu’on a bien voulu dire, mais enfin la contradiction se faisait jour, dans les commencemens surtout et sur les sujets qui ne touchaient que de loin à la politique. Quand la discussion languissait, quand l’empereur avait envie de la ranimer, il adressait quelques provocations transparentes, quelquefois des apostrophes ou sérieuses ou plaisantes, aux membres éminens du conseil, à ceux qui se portaient volontiers ses contradicteurs. On sentait que le maître était de belle humeur et en train de discourir ; les langues se déliaient aussitôt.

L’empereur avait successivement repris tous les usages et les divertissemens de l’ancienne cour. Dans ces occasions, il aimait à être entouré de ses chambellans et des personnes de sa maison. Il affectait de causer de préférence avec eux. La chasse à courre redevint, comme autrefois, un des plaisirs les plus à la mode. La