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noblesse, le ragoût plus délicat d’accorder aussi des titres aux personnes de l’ancien régime. Comme il fallait d’ailleurs que toute grandeur émanât de lui seul, et qu’aucune distinction ne devait jamais remonter plus loin que son règne, il s’appliqua à bouleverser, là comme partout, les habitudes reçues. C’est ainsi que nombre de gens qui portaient le titre de comte ou de marquis avant la révolution furent créés barons. M. de Montmorency, dont la femme était dame d’honneur de l’impératrice Marie-Louise, et qui aurait aimé à demeurer le premier baron chrétien, fut fait comte. Ce fut le titre que l’empereur donna à M. de Labriffe et à mon père. Ils l’avaient porté dans leur jeunesse, et plusieurs se trouvèrent exceptionnellement dans le même cas. Au faubourg Saint-Germain, on les appelait « les comtes refaits. »

Les fonctions de chambellan mirent naturellement mon père en rapport avec tous les personnages considérables de l’empire. C’était pour lui une société toute nouvelle. Il s’y créa rapidement des relations qui lui ont laissé de bons souvenirs, quoiqu’il les ait négligées depuis comme toutes les autres, par sauvagerie et par ennui du monde. Ses fonctions nouvelles étaient assez astreignantes quand l’empereur était à Paris. Le chambellan de service couchait habituellement aux Tuileries, afin de se trouver le matin de bonne heure, au moment des audiences, dans le salon qui précédait la pièce où recevait l’empereur. Combien de généraux fameux, combien de ministres, de grands princes étrangers et de petits souverains, mon père n’a-t-il pas vus attendre patiemment, dans cette sorte d’antichambre, le moment où ils pourraient être introduite dans le cabinet de l’empereur. Par oisiveté, par passe-temps, pour se distraire de leurs ardentes préoccupations, la plupart de ces personnages entamaient la conversation avec le chambellan de service. Ce n’était pas des affaires du jour qu’on s’entretenait dans le salon d’attente. Les diplomates revenus des missions qui leur avaient été confiées, les chefs de corps, les administrateurs de toute sorte que la volonté du maître faisait voyager d’une extrémité à l’autre de son empire et qui venaient à leur passage à Paris recevoir une direction, des encouragemens ou parfois des reproches, ne causaient ni politique, ni guerre, ni administration. Ils ne songeaient qu’à l’empereur ; ils s’informaient curieusement des détails intérieurs du palais, des petites nouvelles de la cour. Ceux que la conduite des armées avait retenus au fond des camps, ou que des services rendus au loin avaient longtemps séparés du maître, semblaient craindre avant tout de ne pas savoir faire bonne figure de courtisan. Volontiers ils auraient demandé des leçons à mon père. Bien peu apportaient à ces audiences un visage tranquille. Quand