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a trop pris l’habitude de publier comme les bulletins compromettans de la triste bataille engagée sous nos yeux. Toujours est-il que M. le président de la république, croyant avoir reconquis sa liberté, s’est tourné vers M. Batbie, qu’il a chargé du soin de lui former un ministère. Quel ministère était possible dans ces conditions, avec la chance de se heurter dès le premier jour contre le parlement? M. Batbie a eu certes l’occasion de faire de la diplomatie, ne fût-ce que pour rassembler des collègues qui fuyaient sous sa main, et son odyssée ministérielle offrirait peut-être plus d’un détail curieux ; mais ce ministère, tel qu’on paraissait le concevoir, avec M. Batbie, ou avec M. Pouyer-Quertier, ou avec d’autres, ne pouvait être fatalement qu’un ministère d’aventure. S’il poursuivait une nouvelle dissolution, il risquait de ne point obtenir dans le sénat l’appui des constitutionnels, qui ont montré dans ces dernières circonstances une prévoyante et patriotique résolution. S’il se tournait vers la chambre des députés, il était fort exposé à ne point avoir le vote du budget. La première question était de savoir si on voulait aller plus loin, si on avait pris son parti de s’engager dans l’illégalité, dans les aventures de la force, d’accepter la responsabilité d’un coup d’état. C’est l’honneur de M. le maréchal de Mac-Mahon de n’avoir pas ouvert un seul instant son esprit à l’idée des complications qu’une politique de résistance allait fatalement soulever. M. le président de la république a pu se tromper ou se laisser abuser par des conseillers qui ont songé moins à le servir qu’à se servir de lui, il a toujours gardé son âme de soldat à l’abri des tentations coupables. À ce moment suprême, il a tout pesé ; il a recueilli peut-être aussi des renseignemens qui l’ont patriotiquement ému. Il a vu que prolonger cette crise c’était infliger à tous les intérêts nationaux d’intolérables souffrances, préparer peut-être de terribles déchiremens, et c’est ainsi qu’il a été conduit à rappeler auprès de lui M. Dufaure, en le chargeant sans condition de former son ministère. C’est le ministère qui vient de naître, qui se présente aujourd’hui même au parlement avec le programme de sa politique.

Le dénoûment est bien réel cette fois. Il est complété par les déclarations de M. le président de la république lui-même, dont le message caractérise la situation nouvelle. Le ministère qui prend aujourd’hui le pouvoir n’est du reste que la réunion d’hommes qui ont déjà plus d’une fois donné des gages de leur modération, de leur déférence pour M. le maréchal de Mac-Mahon. A côté de M. Dufaure, dont le nom seul est une garantie pour tous les intérêts conservateurs, en même temps qu’il est l’illustration d’un cabinet, M. de Marcère rentre au ministère de l’intérieur, M. Léon Say reprend les finances. Un homme fait pour inspirer toutes les sympathies, M. Bardoux, devient ministre de l’instruction publique. M. Waddington est placé à la tête du ministère des affaires étrangères. Le ministère de la guerre passe sous la direction du