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sont là des prodiges d’habileté auxquels nous préférons le plus simple croquis linéaire d’un maître et qui nous rappellent ces vers d’Alceste à Oronte :

Nos pères, tout grossiers, avaient le goût meilleur,
Et je prise bien moins tout ce que l’on admire
Qu’une vieille chanson...


II.

Entre tous les livres à gravures qui portent le millésime fatidique de 1878, cette année inconnue, en est-il un qui doive marquer dans l’histoire du livre illustré? L’Histoire de Joseph, avec des eaux-fortes d’après Bida, est un monumental fascicule d’une bible qu’on n’ose rêver de voir achever. C’est aussi comme un supplément aux Évangiles, publiés il y a trois ans : même format somptueux et même typographie impeccable, même peintre et mêmes aqua-fortistes. On peut croire que dans les innombrables épisodes de la Bible, depuis la Création jusqu’au Livre d’Esther, et depuis les Rois jusqu’aux Prophètes, M. Bida a eu le choix de son illustration. Tous les peintres se seraient sans doute décidés comme lui pour l’Histoire de Joseph, grande fresque qui va des fertiles vallées et des collines verdoyantes du pays de Chanaan aux pyramides pharaoniques et aux plaines grasses des bords du Nil en passant par les solitudes brûlées du désert. Pastorales de l’Éden, campemens des nomades arabes, mœurs, organisation politique, monumens gigantesques de la civilisation égyptienne, ces contrastes existent dans les versets de la Bible consacrés au fils bien-aimé de Jacob. Joseph tient moins des figures du livre des Prophètes que du dormeur éveillé des Mille et une Nuits. Il y a une splendeur orientale dans cet épisode charmant et naïf comme un conte de Perrault.

L’impression de magnificence et de féerie que laisse la lecture de ce fragment de la Bible, M. Bida n’a pas su ou n’a pas voulu l’exprimer. M. Bida a le profond sentiment du simple et du grand; mais il pousse jusqu’à l’austérité la sévérité du style. Il compose les scènes avec science et avec goût; mais l’imagination, la puissance créatrice lui font quelque peu défaut. Ses figures sont conçues dans un beau galbe et posées en de nobles attitudes; mais elles manquent d’originalité ou, à mieux dire, d’individualité. De tous les personnages de l’histoire de Joseph qu’il met en scène, celui qu’il réussit le mieux à évoquer est le vieux Jacob. C’est qu’il a composé ce type avec des réminiscences inconscientes des saint Jérôme des maîtres et avec les souvenirs de son voyage en Orient, où il a vu de tels vieillards accroupis aux portes des mosquées. Au contraire, son Joseph, qui ne pouvait être qu’une création, car aucun