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Pierre Corneille et pour l’Ariadne de Desmarets. Parmi les vignettistes de ce temps, voici encore Nicolas Cochin, père de toute une génération d’artistes, qui a orné le poème de Clovis de petites eaux-fortes spirituelles et lumineuses comme des Gallot, Harrewyn, Sébastien Leclerc, et enfin Romeyn de Hooghe, qui, outre ses frontispices, ses scènes de luttes, ses caricatures satiriques, a fait par centaines, pour les Contes de La Fontaine et de Boccace, l’Heptaméron, les Cent nouvelles nouvelles, des eaux-fortes à mi-pages, très lâchées, très brutales, très peu dessinées, et méritant néanmoins leur succès par l’originalité, la couleur et l’accent pittoresque.

Mais qu’est-ce que ces frontispices, ces petites vignettes, ces planches parcimonieusement placées dans les volumes en comparaison du luxe de l’illustration au XVIIIe siècle! C’est un grand personnage, Philippe d’Orléans, régent de France, qui, en 1718, ramène au goût des livres illustrés en dessinant pour Daphnis et Chloé d’assez médiocres compositions dont le burin d’Audran a fait des merveilles. Cet exemple, venu de haut, ne tarde pas à être suivi. On multiplie les in-folio en l’honneur d’Ovide, de Boileau, de Fontenelle, ou pour mieux dire en l’honneur de Bernard Picard qui illustre ces livres. Le Romain, comme on l’appelait, ne compose-t-il pas 240 vignettes pour l’Entretien sur la pluralité des mondes et les Éloges des Académiciens, publiés en trois volumes in-folio! Bernard Picard est bientôt surpassé, car au XVIIIe siècle, quand les dessinateurs de vignettes ne s’appellent pas Coypel, Gillot, Natoire, Pater, Boucher, Lancret, Bouchardon, Oudry, Le Prince, Lautherbourg, Fragonard, ils sont Cochin, Gravelot, Eisen, Moreau, Monnet, Marinier. Et avec eux marche cette élite de graveurs, Lebas, Lemire, de Longueil, Basan, Choffart, Delaunay, Saint-Aubin, Alliamet, Baquoy, et autres merveilleux maîtres du joli auxquels tous les procédés sont familiers, et qui emploient souvent pour une même planche l’eau-forte avec sa couleur et sa liberté, le burin avec son relief et sa souplesse, la pointe sèche avec sa finesse et son velouté. Le XVIIIe siècle est la plus charmante époque de l’illustration comme le XVIe siècle en est la plus belle. Quels chefs-d’œuvre! Les Métamorphoses, les Contes de La Fontaine de l’édition des fermiers-généraux, le Molière de Boucher, le Decamerone et la Gerusalemme de Gravelot, et jusqu’à ces méchans livres que, malgré qu’on en ait, on paie aujourd’hui littéralement leur pesant d’or à cause de leurs vignettes, les Chansons de M. de Laborde, les Baisers et les Fables de Dorat, les Grâces de Meusnier de Querlon et la Zélis au bain du marquis de Pezay!

Le règne de la vignette est arrivé. Le cuivre envahit le livre comme à la renaissance l’a envahi le bois. L’illustration s’empare de tous les formats depuis l’in-folio jusqu’au petit in-12. Elle exige des planches tirées à part, elle s’installe en frontispice, elle se glisse en en-tête, elle