Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’où venait cette rhétorique pédantesque et guindée dont la poésie voulut bien se faire humblement l’élève, et dont la critique des Geoffroy, des Hoffmann et tant d’autres se constitua l’impitoyable et l’incorruptible gardienne? Il n’est plus guère possible aujourd’hui de le contester : abaissement des caractères, appauvrissement de la pensée, dépérissement du style, tout cela vient du XVIIIe siècle, et non pas du XVIIIe siècle finissant, du XVIIIe siècle de Marmontel ou de La Harpe, de Thomas et de Saint-Lambert; mais du XVIIIe siècle dans sa gloire, étudié dans ses plus illustres représentans. Nul siècle n’a été plus complètement dénué de poésie : dans Voltaire lui-même, combien trouvera-t-on de vers qui partent du cœur, combien de souvenirs vraiment vécus? Nul siècle n’a été plus complètement dédaigneux des grandes parties de l’art. Ce n’est pas seulement la grande phrase majestueuse du XVIIe siècle qu’on brise, et la belle période oratoire que l’on rompt en éclats, de telle sorte que tout ce que le style gagne en clarté, la pensée le perde en profondeur; mais l’art lui-même de la composition, l’art d’ordonner un ensemble, d’en balancer les parties, il semble qu’on en ait perdu le secret. Un Voltaire est inhabile aux œuvres de longue haleine. Rien qui soit écrit d’une prose plus alerte et plus propre à l’action, d’un style plus merveilleux de transparence et de facilité que le Siècle de Louis XIV; mais Gibbon a raison, — car c’est lui qui, je crois, en lit le premier la remarque, — rien qui soit plus mal lié, ni plus faiblement soutenu. Comparez cette suite de chapitres, histoire politique et militaire d’abord, anecdotes, histoire intime de la cour, histoire du gouvernement intérieur, tableau des beaux-ans, histoire des querelles religieuses, tout cela juxtaposé, comme des tableaux dans une galerie, mais non pas composé, d’ailleurs finissant par une plaisanterie d’un goût douteux sur l’œuvre des missionnaires catholiques en Chine, comme par le mot de la fin d’un journaliste, — comparez ce désordre aimable avec cette belle Histoire des variations des églises protestantes, et mesurez la distance. Montesquieu, travaillant à son Esprit des Lois, entraîné par le plaisir de la recherche, s’abandonne si complètement à la dérive de son sujet, et, dépensant à la perfection du détail tout son esprit avec tout son génie, s’oublie si complètement dans une seule partie de son œuvre, qu’un beau jour le livre de la Grandeur et Décadence des Romains se détache de l’ensemble comme un épisode disproportionné, comme un fragment d’architecture admirable, mais dont la grandeur d’exécution écraserait le reste de l’édifice. Buffon écrit un Discours sur le Style, il y vante l’utilité d’un plan, et sans doute il pense à Montesquieu; mais lui-même il apprend l’Histoire naturelle en l’écrivant. Suivez-le de 1747 à 1788 : tantôt il ajoute au monument une aile qui