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de la renaissance prochaine, remonter pas à pas jusqu’aux sources inconnues de ces grands courans qui traversent la littérature du siècle, marquer enfin les origines de la prose et de la poésie contemporaines, tel est le but qu’il s’est proposé.

En effet, les causes de la stérilité sont complexes : tout n’est pas dit quand on a nommé la censure impériale ou cité des passages habilement choisis de la correspondance de César. Nous ne croyons pas aisément avec l’austère Daunou « qu’il ne puisse y avoir de génie que dans une âme républicaine. » Évidemment, on ne saurait avoir la pensée de justifier ou d’excuser seulement les procédés disciplinaires de l’empire à l’égard des écrivains. Un homme, si haut qu’on le mette au-dessus des autres hommes et si bas qu’on le salue, mais un homme, s’arrogeant de penser lui seul, comme d’agir, pour tout un peuple ; une armée de subalternes, dressée comme une vieille garde et traitant la littérature comme une chiourme ; cette singulière ambition de faire naître des chefs-d’œuvre au commandement, « l’art d’écrire consacré à la destruction de la pensée et la publicité même aux ténèbres, » Chénier destitué. Chateaubriand persécuté, Mme de Staël proscrite, convenons donc qu’il n’y a ni chimère de péril social, ni prétendue nécessité de salut public qui puisse autoriser ces attentats de la force contre la pensée. Mais empressons-nous d’ajouter qu’une pension de 8,000 francs consola Chénier de sa destitution, que Chateaubriand ressemble singulièrement à un persécuté imaginaire, et que Mme de Staël a quelque part écrit ce mot curieux, trop rarement cité, « que Bonaparte était un homme que la véritable résistance apaisait, et que ceux qui ont souffert de son despotisme doivent en être accusés autant que lui-même. » Ne versons pas dans la déclamation. Quand, pour flétrir les excès de l’arbitraire impérial, on en appelle, comme font quelques-uns, à toute l’énergie d’éloquence, à toute la véhémence d’indignation dont on se sent capable, il n’est pas mauvais, et c’est rendre à chacun sa part, de se rafraîchir la mémoire de tel décret de la convention portant que « tout théâtre sur lequel seraient représentées des pièces tendant à dépraver l’esprit public et à réveiller la honteuse superstition de la royauté serait fermé et ses directeurs arrêtés et punis selon la rigueur des lois. » On sait ce que c’était, au mois d’août 1793, que la rigueur des lois. Car enfin il ne faut pas nous donner à croire, en épaississant les ombres autour des grotesques de la révolution et faisant la pleine lumière sur les ridicules de l’empire, qu’au lendemain de la convention, sous le directoire par exemple, quelque Barras ou quelque Gohier régnant, une littérature nouvelle fût prête à naître, une littérature républicaine, que le régime consulaire ou impérial