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beaucoup, et, quoiqu’il parlât ainsi dans un temps où sa parole ne pouvait être encore soupçonnée ni d’allusion politique ni de flatterie rétrospective, c’était trop. Il sera toujours difficile de prouver que les Templiers ou Ninus II soient des chefs-d’œuvre injustement ignorés, Raynouard ou Brifaut des génies méconnus, Fontanes ou même Chênedollé, comme on les appelait, les derniers des classiques. C’étaient de fort honnêtes gens, qui faisaient assez proprement des vers peu poétiques, dont les meilleurs étaient beaux comme de la belle prose, de la belle prose académique, élégante et de bon ton, mais sans muscles et sans nerfs; d’ailleurs, poésie mise à part, les uns, comme Raynouard, très savans, et les autres, comme Brifaut, très aimables: mais ce n’est pas une raison pour les écarter impitoyablement de l’histoire de la littérature française. Bien plus et c’en est une de leur faire la part plus belle et la place plus large. Il y a des naturalistes à la mode qui donneraient volontiers toutes les espèces vivantes pour une seule de ces espèces de transition, épreuve affaiblie d’un modèle ancien, ébauche confuse d’un type nouveau, qui leur offrent les moyens de combler une lacune de la généalogie des êtres et de surprendre en quelque sorte la nature sur le fait, en flagrant délit de tâtonnement et de commencement d’invention. En littérature comme en histoire naturelle, il y a des œuvres de transition. Et si la critique littéraire, telle du moins qu’on la prône aujourd’hui, se piquait d’être conséquente avec soi-même et soumettait une bonne fois la liberté de ses allures aux rigueurs de la discipline scientifique, c’est peut-être à ces œuvres de transition qu’elle devrait consacrer le meilleur de son attention. Car on n’explique pas le génie, mais on explique le talent, et l’expliquant, on montre en quoi, par où, comment le génie est inexplicable. Et n’est-ce pas précisément, puisque aussi bien il s’agit ici de la littérature de l’époque impériale, ce que Royer-Collard appelait avec force « dériver l’ignorance de sa source la plus élevée? » Les fables d’Arnault sont fort agréables, pour sentir celles de La Fontaine.

C’est dans cet esprit de critique studieuse que M. Merlet a conçu l’ouvrage dont il vient de publier le premier volume, avec ce titre général : Tableau de la littérature française, 1800-1815, et le sous-titre : Mouvement religieux, philosophique et poétique. Il n’a point affecté la prétention de réhabiliter une littérature à peu près condamnée, mais il a voulu réviser le procès sur les pièces. Il accepte le dispositif, mais il pense qu’il y a lieu de revenir sur les considérans. « Expliquer ou atténuer les rigueurs de la postérité par l’enquête des causes qui la justifient, » et par suite, sous l’apparente et uniforme pauvreté des œuvres, découvrir et noter les symptômes