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et si les formes peu gracieuses, mais faciles à améliorer, des races de la Plata, ne font pas méconnaître en Europe leurs solides qualités. Il ne sera bientôt plus possible de ruiner sans merci tant de pauvres bêtes et de les remplacer à courts intervalles à raison de deux ou trois par homme. Ensuite la guerre indienne, pour ne parler que de celle-là, même cette guerre contre des sauvages, continuera à se faire mal avec des troupes mal montées, et elle est arrivée à un point où il est indispensable de la faire bien. Il n’y a donc pas à dire : il faut mettre à cet égard l’armée régulière argentine sur le pied de toutes les armées régulières de l’univers, si étrange, si paradoxal que cela puisse paraître aux vieux routiers dont les épaulettes et les mœurs équestres datent du bon temps des patriadas. Ils se refusent à croire à la disette des chevaux, parce qu’ils ont pour s’en procurer des procédés non prévus au budget. Il faut donner aux animaux une ration constante et des soins incessans, ne les laisser en liberté que le temps nécessaire pour se vautrer et folâtrer. Qu’ils tondent la prairie par manière de rafraîchissement et de distraction ; mais qu’on cesse de compter sur l’herbe verte pour les rendre vigoureux. Il n’y a pas à leur bâtir des écuries, puisqu’on a la bonne fortune d’avoir affaire à des bêtes pour qui cette délicatesse est inconnue. Respectons en cela, mais en cela seulement, les routinières alarmes de quelques officiers, qui pensent, — ce ne sont pas ceux de la nouvelle génération naturellement, — que l’étrille et le maïs[1] effémineraient leurs montures, et leur donneraient des exigences malséantes dans un cheval de guerre.

Cette réforme, que l’on prépare de loin avec une sollicitude attentive, a besoin d’être menée habilement et patiemment pour réussir. Le corral et la promiscuité des chevaux sont pour le soldat une institution antique et respectable ; il aura du mal à s’habituer à l’ordre et à la règle. C’est à ces projets que répondait l’établissement d’une ferme dans les quatre campemens principaux. Je leur envoyai, dès les premiers jours de mon installation, des bœufs de travail, des semences, des instrumens de labourage. Dans chacune de ces fermes, la première année on a semé 80 hectares de luzerne et de maïs. On a pensé aux hommes en même temps qu’aux bêtes, on a établi pour eux de grandes cultures maraîchères, afin de mêler des légumes à l’éternelle viande rôtie de leur ordinaire. Pour

  1. L’avoine, qui aima les terrains maigres, roussit mal dans les plaines argileuses de la province de Buenos-Ayres. Elle s’en va tout en tige et en feuilles et ne donne pas d’épis. On la remplace dans la ration des chevaux par le maïs, qui pour cet usage ne la vaut pas. L’avoine se plairait probablement dans les anfractuosités des petites montagnes de granit et de grès rouge aujourd’hui enclavées dans les terres chrétiennes.