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prodiges pour le franchir. Une grande invasion n’y réussira pas : avant qu’elle ait ouvert une porte suffisante, elle aura toute une division sur les bras. De petits détachemens pourraient bien se faufiler de temps à autre dans l’intérieur. Le cas ne sera pas fréquent, les officiers de frontière mettent beaucoup d’émulation à ne pas se laisser prendre en défaut par les ruses incessantes de l’ennemi. Ces tentatives d’ailleurs rapporteront peu de profit à ceux qui les exécuteront. Si l’entrée est malaisée, la sortie avec le butin est impossible. Néanmoins quelques coups de main de ce genre, pour triste qu’en soit l’issue, retarderaient aussi bien que si le résultat arait été heureux le progrès des vastes contrées que le but est de peupler et non de posséder théoriquement. Enfin, si la frontière est mieux gardée, elle coûte aussi cher qu’auparavant au gouvernement national, elle lui coûte même plus cher. Pour tirer parti des dépenses et des travaux que l’on vient d’y faire, il est nécessaire de brusquer le dénoûment de cette guerre indienne, aussi pénible qu’onéreuse. Il est nécessaire de pousser les choses à bout, d’obliger les sauvages à se soumettre sans conditions ou à émigrer en masse au-delà du Rio-Negro; pour cela, il reste à aller les attaquer chez eux. L’élément principal de cette guerre c’est le cheval de cavalerie : il est encore à créer dans l’armée argentine.

Lorsque, suivi du premier contingent de travailleurs, j’abordai la frontière après quatre mois d’absence, je fus frappé des heureux changemens survenus dans l’aspect de la caballada. Les chevaux vigoureux et bien portans abondaient, j’eus bientôt l’explication de ce phénomène : c’étaient des chevaux pris à l’ennemi. Les Indiens avaient beaucoup envahi depuis quelque temps, et toujours d’une façon malheureuse. Étrillés régulièrement au retour, il leur avait été impossible de faire franchir la première ligne à une partie de leurs propres bêtes. Ils en avaient tant perdu, qu’il s’était souvent déroulé, à portée de la vue, sinon des balles des troupes lancées à leur poursuite, de petits drames assez saisissans. Des fuyards se disputaient à coups de couteau un cheval frais pour prendre le large. Ce n’était plus le temps où leurs tropillas nombreuses leur permettaient de sauter d’un animal à l’autre sans jamais en surmener aucun.

Cette circonstance, qui s’était reproduite dans toutes les frontières, mais sur laquelle, pour une remonte régulière, il serait présomptueux de compter, avait permis d’améliorer l’organisation de la cavalerie. On avait d’abord mis à part des « chevaux de réserve, » qui ne devaient donner que dans les occasions importantes. On avait fait mieux : on avait remis à chaque soldat un cheval dont il était dispensé de se servir pour les corvées ordinaires et qu’il pouvait