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signalée, — c’est un petit détachement du 7e et un piquet d’Indiens de Guamini qui nous arriva. J’eus plaisir à revoir l’uniforme du 7e et les figures patibulaires des Indiens. On aime toujours à retrouver les gens avec qui on a fait campagne, fùt-on obligé de soumettre à des fumigations, après leur départ, le siège de cuir de bœuf où ils se sont assis. Le commandant Godoy, chef alors par intérim de la frontière ouest, avait envoyé ces forces à notre secours en cas d’alerte; lui-même était sur la trace des envahisseurs : il les atteignit quelques heures plus tard, à 3 lieues de nous. Les Indiens amis qui venaient de nous arriver formaient, avec ceux de Pichi-Huinca, toujours attachés à la division côte sud, les seuls sauvages encore fidèles. Ceux de Guamini ne sont pas plus d’une vingtaine. Leur histoire est assez singulière.

Ils se présentèrent un jour inopinément au fort général Paz; ils avaient résolu, dirent-ils, de vivre et de combattre désormais avec les chrétiens. Leur chef, le capitanejo Maudonao, avait été pendant plus de quinze ans le lieutenant de Pinzen. Sa défection parut suspecte : on l’installa près du fort; mais on le surveilla. Cinq années ont passé depuis lors, cinq années décisives; Maudonao n’a pas bronché. Pinzen, qui le regrette et l’abhorre, n’a pas eu d’adversaire plus déterminé; il connaît à fond sa méthode et devine toutes ses ruses : au combat, c’est un lion. On n’a jamais eu l’explication de la brouille des deux amis et de l’acharnement du capitanejo contre le cacique. Il y a là-dessous quelque histoire ténébreuse. Peut-être y a-t-il tout simplement l’influence du Captif et de Pedro, les deux confidens de Maudonao. Le Captif, — c’est son seul nom, — était encore à la mamelle lorsque les sauvages le prirent. Aussi se vante-t-il d’être un « Indien cru, » un Indien parfait. Il se vante; il est d’une beauté remarquable. C’est le type romain dans toute sa pureté, mais plus élancé et plus nerveux. Sa barbe noire le signale à l’attention au milieu des faces glabres de ses camarades. Pendant l’expédition de Guamini il portait un chapeau à larges bords dont la coiffe était tombée en pièces et avait été remplacée par un morceau de peau d’autruche fixé au moyen de lanières de cuir de cheval; cela lui donnait un air de brigand nullement vulgaire. Vaillant et perspicace, il a de l’influence, et il tient ferme pour l’alliance avec les civilisés, à condition que ceux-ci ne lui imposeront pas leurs coutumes qui lui sont odieuses. Quant à Pedro, décidé aussi à ne pas changer d’existence, il est lié aux chrétiens non-seulement par le sang, mais encore par les souvenirs de ses premières années. C’est un Aragonais qui fut enlevé vers l’âge de douze ans dans une estancia du Rio-Cuarto, sur la lisière de la province de Santa-Fé. Les Indiens, se sachant poursuivis et le trouvant trop