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la plus haute de son talent. On n’imagine guère qu’une donnée si modeste puisse être rendue aussi attachante. Un chemin blanc qui serpente à travers des terrains vagues : en bas, une eau noirâtre laissant entrevoir un fond d’herbages; autour, quelques buissons maigres et rudes; des saules rabougris, des sureaux aux fleurs d’un blanc fade, des épines qui tordent leurs branches enchevêtrées. Au sommet du monticule, la végétation devient encore plus rare et plus malingre; la dune se montre à découvert et quelques arbres chétifs, ramassés, serrés les uns contre les autres, luttent comme ils peuvent contre l’aridité du sol, l’inclémence du ciel et le vent de la mer qui les ronge et les courbe. Le chemin est montant, malaisé, à peine tracé; une voiture qui a gravi le haut du tertre va bientôt disparaître. Le voyageur qu’elle a amené dans ce lieu solitaire s’est assis sur le gazon; c’est un citadin, peut-être le peintre lui-même, et il est si absorbé dans sa contemplation qu’il ne prend point garde à un pâtre qui s’approche de lui. L’endroit est cependant plus qu’ordinaire, et ni les lignes, ni la couleur de ce paysage ne semblent offrir grand intérêt. Pourtant ce pauvre pays a parlé à l’âme du peintre, il y a trouvé l’écho de ses tristesses, et il ne lui en a pas fallu plus pour créer un chef-d’œuvre aussi expressif que notre Buisson du Louvre, mais d’une exécution plus rare encore. Les intonations y sont plus franches et en même temps plus fines. Avec autant de simplicité, il y a plus de force, plus d’imprévu. Le travail est significatif; il accuse la différence des choses, sans subtilité, sans pédantisme. Le modelé reste large ; mais, avec les tempéramens que comporte la dimension restreinte du panneau, la diversité des essences végétales est nettement indiquée : le feuillage rude des broussailles, la dentelure compliquée des chênes, leurs nerveuses ramures et la silhouette arrondie des hêtres. A côté des sacrifices et des repos ménagés pour l’œil, des accens plus hardis mettent en lumière quelque détail caractéristique que le peintre veut faire dominer, comme par exemple ce chemin pâle et crayeux qui contourne la dune et se perd un moment pour reparaître plus loin.

Mais pourquoi citer un détail et découper un morceau dans une œuvre où tout se tient, où chaque chose est en sa place, vaut par elle-même, il est vrai, mais vaut surtout pour l’ensemble? Tout ici est d’un art accompli; aussi, avec le livret, nous avons cru lire distinctement la date 1667, bien que M. Burger veuille voir 1647. Quelle apparence en effet si, comme on le dit, Ruysdaël est né vers 1630, qu’il ait pu peindre la Dune à l’âge de dix-sept ans? Non, ce n’est pas là l’œuvre d’un jeune homme, si précoce qu’on puisse le supposer; c’est bien l’œuvre d’un maître dans sa pleine maturité et