Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

argentins; des oisillons chantent perchés sur les branches ou s’ébattent dans l’azur, et, au milieu de cette fête de la nature, la famille est là tout occupée de ce petit enfant. Les bêtes (c’est encore la famille) prennent aussi leur part d’une si belle journée. Ils sont étonnans, ces animaux, de mouvement, de vie, de fine observation! Chacun a sa physionomie propre. La vache rousse à tête blanche, qui, le cou tendu, regarde en ruminant; les moutons avec leur mine apathique et somnolente, le petit chevreau collé à sa mère pour la téter, tous sont indiqués avec une vérité saisissante. Dans cette pleine lumière qui n’admet aucun subterfuge, le dessin est serré de près, partout lisible et poussé à fond, non pour chercher dans les formes je ne sais quelle pureté abstraite, mais pour atteindre au cœur même de la réalité une expression plus complète et plus intime de la vie elle-même[1]. il est difficile de parler une langue plus claire et plus honnête, et de faire passer dans l’esprit du spectateur des idées plus nettes. C’est quand il s’est cantonné dans ces simples sujets que P. Potter a peint ses meilleures œuvres. Il manque de goût ou de mesure alors qu’il veut forcer son talent ou grandir ses dimensions comme dans la Chasse à l’ours et l’Orphée d’Amsterdam, dans le grand portrait équestre de la galerie Six, ou même dans le Taureau de La Haye, si l’on veut y voir autre chose qu’une étude. Il se montre dessinateur incomparable et peintre accompli dans les petits tableaux du Louvre, de la galerie d’Aremberg[2] et dans l’œuvre dont nous parlons. Ému lui-même par ces sujets naïfs dans lesquels son œil d’artiste découvre des beautés, il sait nous faire partager ses émotions et prête un charme poétique aux moindres scènes de la vie rustique.

Avec Ruysdaël nous allons trouver des inspirations plus hautes. Les dix tableaux qu’il a au musée de Munich sont bien dignes de lui : l’un d’eux même est un chef-d’œuvre. Nous ne parlerons cependant ni des Cascades, dans lesquelles, malgré la sincérité personnelle de l’impression, on ne veut voir que des réminiscences d’Everdingen, ni de cette pauvre campagne sur laquelle l’orage va s’abattre, ni de ce village plus misérable encore, enseveli sous la neige, ni même de cette lisière de forêt d’une harmonie à la fois si puissante et si délicate. De toutes les œuvres de Ruysdaël ici réunies, la Dune, avec les élémens les plus simples, nous offre l’expression

  1. Signalons cependant une faute de proportion chez ce dessinateur si consciencieux et si exact; à droite, le mouton debout, très bien exécuté d’ailleurs, est beaucoup trop grand pour le plan qu’il occupe.
  2. Le tableau de Munich est composé presque avec les mêmes élémens que celui de la galerie d’Aremberg; mais, quoique antérieur, il est plus complet et d’une conservation plus parfaite.