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L’aspect de l’ensemble est très simple; les gris neutres y dominent et donnent leur prix aux accens vigoureux comme aux notes tendres et délicates. Les vibrations s’équilibrent avec un art accompli, la richesse des colorations restant concentrée sur les personnages. L’harmonie générale est forte, élégante et soutenue. Ajoutez à cela l’entrain, la liberté, l’aisance incomparable de l’exécution, la justesse parfaite de l’attitude et des gestes, un travail réglé, mais où l’on ne sent aucun effort, et vous comprendrez quelle est ici la plénitude de la vie et du talent. On pense à Rubens et à Velasquez, mais non à Rembrandt, à qui on attribue, peut-être un peu trop gratuitement, une certaine influence sur le peintre. Ce n’est pas là le Hals à la touche mince et superficielle qui, tout charmant et spirituel qu’il soit, nous paraît avoir été un peu surfait par la critique dans ces derniers temps. On est en face d’une peinture mâle et franche, du goût le plus pur. Ses caractères et ses qualités suffiraient pour déterminer assez exactement la date de l’œuvre, et s’il s’agit bien ici du ménage du peintre, il serait facile d’ailleurs de la fixer d’une façon très précise. Dans ce cas en effet, la plus petite de ces enfans, celle que l’on voit à droite vêtue d’une jupe bleu pâle et tenant un fruit à la main, ce serait Marie, la plus jeune des filles de Hals. Elle a de trois à quatre ans; comme elle a été baptisée le 11 novembre 1631, nous serions donc aux environs de 1635. Hals touche à la cinquantaine, c’est-à-dire à la maturité et à la grande époque de son talent; deux ans après cette Réunion des officiers du corps de saint Adrien, qui, au musée de Harlem, est sa meilleure œuvre[1]. Sans témérité, sans vaine parade, c’est un homme sûr de lui, qui s’applique cependant, qui ne se laisse pas aller aux redites et sait modifier ses moyens.

Nous voudrions bien, du même coup, avec cette honnête et saine peinture, pouvoir réhabiliter le caractère de notre peintre. D’assez vilains bruits ont couru sur lui, sur ses penchans et ses compagnies. Il n’est que trop avéré qu’il était ivrogne[2], et les incrédulités à cet égard ne sont plus guère permises en présence des textes formels qui ont été produits. Et cependant, pour qui connaît le despotisme envahissant de cette laide habitude, comment penser qu’à cet âge le goût, la fine élégance et l’entière possession de soi-même qui paraissent ici aient pu être compatibles avec de si basses inclinations? Comment expliquer les relations que Hals, jusque dans sa vieillesse, a conservées avec les personnages les plus distingués de son temps? Comment Descartes, qui certes n’était pas d’humeur trop

  1. Musée de Harlem, n° 57.
  2. Van der Willigen, les Artistes de Harlem, p. 144.