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goût et à la discrétion de son altesse pour lui donner moins, si son altesse pense qu’il ne mérite pas autant. »

Dans cette précieuse série, Rembrandt, avec des élémens et des moyens presque pareils, a su exprimer toutes les nuances d’une même idée par une gradation continue de sentimens. Les détails les plus touchans, les plus pathétiques, y abondent et renouvellent l’intérêt dans chacun des épisodes du grand drame qui se déroule à nos yeux, depuis la Nativité jusqu’à l’Ascension : cette figure du Christ, par exemple, qui dans la Résurrection paraît à peine, et qu’on n’a point à chercher cependant puisque, malgré la confusion des lignes et les violens contrastes de l’ombre et de la lumière, elle reste le sujet principal de la scène. C’est une merveille d’invention que cette figure qui, la main appuyée sur le rebord du sépulcre, se soulève doucement. On ne peut oublier, quand on l’a vu, ce visage éteint d’où la vie est encore absente, mais qui peu à peu semble se ranimer devant vous, ces grands yeux qui s’essaient à regarder, ces mouvemens encore incertains. Il y a là une de ces conceptions qui paraissent excéder les moyens de la peinture, tant elles sont insaisissables, mais que le génie seul, dans la simplicité de ses audaces, peut aborder et fixer avec une force que la réalité elle-même ne saurait atteindre.

Ces six œuvres s’expliquent et s’appellent mutuellement; chacune d’elles se suffit, et cependant chacune sert à compléter les autres. Elles nous montrent toute une face du génie de Rembrandt et comme une profession de sa foi religieuse. C’est par les côtés humains qu’il comprend et qu’il s’attache à exprimer l’Évangile. Le Christ qu’il a peint, c’est celui de la pauvre crèche, du modeste et laborieux ménage de Nazareth, du repas d’Emmaüs. Il vit au milieu des dédaignés, des petites gens, des affligés de ce monde; il est leur ami, leur compagnon, il est venu les soulager et leur apporter la bonne nouvelle. Pour nous dire sa beauté et sa bonté morales, Rembrandt trouve des accens qui viennent de son âme et dont la simplicité familière déroute ceux qui ne voient l’expression de tels sentimens qu’au travers des traditions et de l’art du passé. Ses visions sont bien à lui, et les émotions qu’il veut nous inspirer n’ont rien de convenu. Il en est ému lui-même : elles occupent son esprit solitaire et rêveur, et le remplissent à ce point qu’il ne s’aperçoit guère que ses inventions sont parfois bizarres, que les visages et les tournures de ses personnages manquent de noblesse, que leurs costumes n’ont aucune vraisemblance; mais sa sincérité est entière, et, ayant à nous dire des choses si nouvelles sur des sujets qui semblaient épuisés, il sait découvrir des ressources et des voies inexplorées dans son art. Il se fait un style à lui, plein de mystères et