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béret noir dont Rembrandt s’est coiffé projette une ombre vigoureuse, le fond aussi est d’une coloration intense, et sur ces sombres accompagnemens les notes brillantes se détachent avec éclat; les joues semblent pétries de lumière, et le sang y est à fleur. Les yeux, sous les épais sourcils, sont pleins d’un feu profond; ils ont ce regard perçant et scrutateur d’un peintre qui s’applique à fouiller les obscurités les plus mystérieuses et à pénétrer le secret des plus vives lumières. L’habit d’un rouge amorti, avec des bandes d’or, est d’un ton velouté, enrichi de transparences pourprées. Çà et là quelque accroc d’or ou d’argent ou quelque pierre précieuse scintille dans l’ombre. L’œuvre, qu’il faut rapporter, croyons-nous, aux dernières années de Rembrandt, doit avoir précédé de peu son chef-d’œuvre : les Syndics. C’est une peinture de haut goût, pleine de surprises et d’intimités, avec des concentrations puissantes et de brusques éclairs. La science y est accomplie, et cependant elle laisse voir un homme qui cherche toujours, qui rêve d’un art plus haut et ne parvient jamais à satisfaire le noble tourment de perfection dont il est possédé.

Mais ce n’est pas seulement comme portraitiste que Rembrandt figure au musée de Munich; nous y trouvons encore sept compositions de lui, toutes empruntées à l’Évangile. Jésus parmi les docteurs est une peinture un peu voilée, d’une harmonie fine et mesurée. Les vieillards blanchis dans l’étude des textes sacrés entourent le jeune enfant et le pressent de questions; ils paraissent confondus de sa tranquille assurance, de la simplicité avec laquelle il leur répond. L’ombre qui envahit les profondeurs du temple semble en avoir agrandi les dimensions; elle fait mieux ressortir encore l’isolement de cette petite figure, l’étrange autorité qu’elle respire et la lumière dont elle éclaire toutes ces ténèbres.

Les six autres tableaux font partie d’un ensemble que le prince d’Orange, Frédéric Henri, avait commandé à Rembrandt. Trois lettres de ce dernier[1] établissent la date et le prix d’acquisition de ces ouvrages et attestent à la fois l’estime où l’on tenait alors le peintre, son désintéressement et les relations dont il était honoré. Ces lettres, dont la dernière est du 27 janvier 1639, concernent spécialement l’Ensevelissement et la Résurrection. Les autres tableaux de cette suite avaient été livrés auparavant. En annonçant son envoi, Rembrandt recommande « de suspendre ses tableaux sous un jour très fort et de façon qu’on puisse les voir à une grande distance. » Il les estime 1,000 florins pièce, « se fiant d’ailleurs au

  1. Lettres à Constantin Huyghens : Discours sur Rembrandt, par le Dr Scheltema, p. 126. Paris, 1866.