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anime ces traits ; le sang circule généreusement sous la chair, les yeux vous interrogent avec une ténacité persistante, et les mains, admirables de simplicité, semblent pénétrées de lumière. La femme est tout à fait charmante de fraîcheur et de jeunesse. Des traits fins et ingénus, le nez petit, délicatement modelé, des joues vermeilles, des yeux limpides et francs, des cheveux bruns à reflets dorés, abondans, dont les mèches courtes et bouclées encadrent un front pur, ouvert, aux tempes un peu saillantes; tout cet ensemble est d’une grâce et d’une beauté qu’il faut signaler chez un peintre accusé parfois d’avoir assez malmené les visages féminins. Le costume ajoute encore au charme de cette aimable créature. Sur la chemisette modestement tirée pend une chaîne à médaillon : le corsage de velours couleur feuille morte, avec des agrémens en or passé et des paremens vert sombre, fait ressortir le doux éclat du teint. La pose est d’un naturel parfait, et les mains gantées sont naïvement croisées sur la poitrine. Une excellente conservation recommande ces deux portraits; rien n’en altère les transparences. La touche y est mesurée, la pâte abondante, mais discrète, et la facture sage et posée dénote autant de perspicace attention chez l’observateur que d’habileté chez le peintre. Plus tard il se montrera plus personnel, moins attaché à rendre ce qu’il a sous les yeux; avec des partis plus larges, sa pratique sera moins égale. Ici, il étudie avec une sincérité absolue, il ne résume pas encore.

Quel exemple de voir de tels hommes, avec de tels dons, s’astreindre, jusque dans la maturité, à ces études patientes et consulter la nature avec ces scrupules avant de s’abandonner librement à leur génie! Ils savaient, eux, que tout doit se mériter ici-bas, et qu’il n’y a d’audace légitime que celle qui s’appuie sur une connaissance honnêtement acquise des ressources de l’art. A voir les témérités précoces qu’affichent certaines tentatives de notre temps, il semble en vérité que l’on ait changé tout cela et qu’il soit permis de frapper les grands coups avant d’être bien armé. On veut, contre toute logique, débuter par la dernière manière des maîtres et commencer comme ils ont fini.

Le troisième portrait est celui de Rembrandt lui-même, dans un âge déjà avancé. Ce nez large, ces traits un peu gros, il les a reproduits bien souvent, non par une vaine complaisance pour son visage, la coquetterie n’a rien à voir aux images nombreuses et souvent très peu flattées qu’il nous a laissées de sa personne; mais il tenait apparemment à se sentir tout à fait libre dans ses recherches, et, en poursuivant sur lui-même ses infatigables expériences, il voulait, pouvoir les varier à son gré et n’avoir pas à compter avec autrui. Cette fois le parti est franc et nettement accusé. Le grand