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soustraire. Pour ne parler que d’un des plus illustres, Crayer, après avoir, à ses débuts, fait preuve d’un sentiment personnel un peu timide, mais sincère et quelquefois touchant, Crayer finissait, lui aussi, par subir pleinement cet ascendant. Le Triomphe de la Vierge, dite de 1646, relève directement de Rubens. Malgré l’habileté avec laquelle a été mené cet immense tableau, on sent en effet que l’audace apparente du peintre manque de spontanéité et que la fougue dont il fait ici parade n’est qu’un reflet et un emprunt.

Ou le voit, nous ayons cru pouvoir prendre congé de Rubens, et à chaque pas nous le retrouvons sur notre chemin. Parler de ses élèves, c’est encore parler de lui; étudier ses contemporains, c’est montrer chez eux son influence. Lui mort, l’éclat de la peinture flamande allait s’éteindre avec ses imitateurs et les derniers de ses élèves.


III.

Si, avec Anvers, Munich est un des endroits où le génie de Rubens peut être le mieux apprécié et si on y recueille sur lui-même des indications qu’aucun autre musée ne fournirait aussi complètes, la Pinacothèque ne nous montre pas des richesses moindres pour l’art de la Hollande. Rembrandt excepté, on pourrait y suivre, avec les développemens qu’elle comporte, l’histoire de cet art, tant est grande l’abondance des œuvres qu’il nous donne ici, tant leur mérite est solide et leur conservation parfaite. Et Rembrandt lui-même, s’il n’a pas à Munich une de ces productions capitales telles que le musée de La Haye et surtout celui d’Amsterdam en possèdent seuls, Rembrandt y est encore dignement représenté. En écartant ce qui nous semble apocryphe, nous trouvons d’abord trois portraits importans dont l’attribution est incontestable et qui s’imposent à notre attention. Ceux que le catalogue désigne à tort comme représentant le peintre G. Flinck et sa femme sont signés et datés 1642, l’année même de la Ronde de Nuit. Rembrandt a trente-six ans; il est maître déjà, mais, ici du moins, il demeure encore respectueux, presque timide en face de la nature. Les figures s’enlèvent franchement sur le gris du fond; elles sont d’une facture simple, très suivie et très consciencieuse. Le modelé y est partout étudié à fond, en pleine lumière, sans parti-pris, sans ces préoccupations d’effet et de contrastes qu’on remarque déjà dans quelques-uns de ses ouvrages antérieurs et qui, par la suite, le domineront de plus en plus. Isolez le portrait d’homme, c’est la vie elle-même qui