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qu’il faut omettre, ce faire qui semble impersonnel et qui cependant n’appartient qu’à Van Dyck, et par-dessus tout, cette interprétation de la figure humaine qui mêle à la beauté visible je ne sais quel reflet de la beauté morale qui s’y ajoute et l’achève.

De Van Dyck à Jordaens, la distance est grande. L’un a sa gloire propre et fait honneur à son maître; on serait tenté de croire que l’autre peut nuire à Rubens en mettant sous la protection de ce grand nom son goût un peu vulgaire, ses gros rires et les étalages de chairs et de mangeaille auxquels il se délecte. Quand on le voit reproduire dans des dimensions héroïques des plaisanteries sur lesquelles il appuie lourdement alors qu’il conviendrait de glisser et de se faire comprendre à demi-mot, on oublie presque que Jordaens est un exécutant très habile et qu’on peut admirer, dans le Satyre et sa famille par exemple, des morceaux de peinture enlevés avec une verve et une science peu communes. Mais cet art n’a jamais des visées bien nobles; il gagnerait à se renfermer dans un cadre plus restreint, et lorsqu’il veut, en se haussant, toucher aux sujets sacrés, il a presque l’air de les profaner.

Teniers, le plus souvent, a mieux le sentiment des proportions, et bien lui en prend. Pour une fois qu’il a voulu s’en affranchir, l’épreuve ne lui a pas réussi, et cette Foire italienne, où il s’est donné carrière, ne peut être citée que comme l’erreur d’un esprit ordinairement mieux avisé. Les défauts ici sautent aux yeux les moins exercés : aucune entente de la composition, aucun effet, malgré ce premier plan durement découpé en manière de repoussoir. Les groupes confus sont jetés comme au hasard, la touche est grêle et nullement en rapport avec les proportions d’une si vaste toile. Le peintre, pour masquer son embarras, a vainement accumulé les détails et les intentions, et introduit la galerie entière des personnages qui d’habitude suffisent à ses données familières. Le rémouleur, les marchands d’orviétan, les compagnons de plaisir de l’enfant prodigue, les buveurs des tabagies ou des corps de garde, les nobles visiteurs de ses fêtes champêtres, ils sont là au complet, réunis pour les besoins de la cause, mais ils paraissent comme perdus et dépaysés; ils ne se sentent pas chez eux. Teniers a bien pu multiplier les épisodes; il n’a pas su faire un tableau de cette taille. Fort heureusement pour lui et pour nous, il a mieux à nous offrir à la Pinacothèque, et nous retrouvons en détail, casé dans leur véritable milieu, tout ce personnel peu choisi d’ivrognes, de racleurs de violon, de lourdauds en gaîté et de commères gaillardes et trapues. Nous avons même ici trois compagnies de singes et de chats, et dans l’une d’elles ce concert d’une gravité bouffonne où chacun des virtuoses à quatre pattes exécute en conscience sa partie