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la galerie Lichtenstein, dont une répétition existe au musée de Dresde, ce garçon n’est pas un page, comme le dit le livret; l’âge et le type nous le font assez reconnaître : c’est Nicolas, le second fils d’Isabelle[1]. L’enfant a trouvé dans Hélène non pas une seconde mère, mais presque une sœur. Le groupe charmant regagne la maison, cet hôtel somptueux, construit autrefois pour Isabelle, dans un style un peu bâtard, mélange bizarre de réminiscences italiennes et de goût flamand ; magnifique résidence cependant, remplie de tableaux, d’objets d’art de toute sorte, et honorée de la visite des plus grands seigneurs et des souverains. Sous le portique, à côté des statues et des bustes rapportés d’Italie, on entrevoit une table dressée, un grand bassin de cuivre où rafraîchissent quelques bouteilles « de ce vin d’Aï » que Rubens aimait à boire. C’est là, à l’air tiède d’une journée de printemps, sans doute vers le mois de mai 1631, que la petite famille va prendre place. Les trois convives auront sous les yeux des fleurs, des eaux jaillissantes, le parterre de tulipes aux franches couleurs, et, rangés le long d’une haie de buis taillé qui les abrite, les orangers chargés de fruits qu’on vient de sortir de la serre et les œillets qui commencent à pousser. Tout autour encore, quelle profusion de vie! C’est le chien du logis qui gambade, ce sont tous les animaux d’une opulente basse-cour : des paons au plumage éclatant et des dindons avec leur jeune couvée, attendant le grain que va leur distribuer la vieille servante; puis des pigeons sur le toit et une pie familière au sommet d’un arbre voisin. Le ciel est bleu, les lilas sont en fleurs; la nature elle-même semble faire fête aux époux et s’associer à leurs joies. Et tous ces détails significatifs sont indiqués avec cette vivacité spirituelle dont l’habileté confond; tous parlent et nous retracent éloquemment la plénitude du bonheur à l’ombre du foyer domestique. Pourquoi ne peut-on s’arrêter sur cette page et fermer ici le livre? pourquoi, malgré nous, notre pensée nous ramène-t-elle à la pâle figure du musée de Vienne et nous oblige-t-elle à nous rappeler que neuf ans après Rubens était mort, laissant une veuve de vingt-six ans qui, à son exemple, allait bientôt se remarier et lui donner pour successeur un obscur diplomate?


II.

Le plus illustre des élèves de Rubens, celui qui les dépasse tous et qui est lui-même un maître. Van Dyck, est dignement représenté à Munich par quarante ouvrages, dont plusieurs méritent d’être

  1. Né le 23 mars 1618.